Les données de santé, point de vue patient

CREIS-TERMINAL a organisé un débat en ligne le mercredi 9 avril 2025
de 18h30-19h45 sur :

Les données de santé, point de vue patient

Intervenante: Sarah Sandré, Membre du CA de CREIS-TERMINAL,de IRIS, de USPN, coordinatrice du GT Santé Numérique du Réseau de Jeunes Chercheur·euses Santé et Société, et juriste au sein de l’équipe « Innovation & Données » en charge de l’entrepôt de données de santé de l’AP-HP.

Débat animé par Christian Papilloud, Professeur des Universités en théorie sociale à l’université de Halle en Allemagne, Directeur du centre de recherche transdisciplinaire « Société et culture en mouvement » et cofondateur du Centre de recherche inter-facultaire santé et société.

L’intervention de Sarah a porté sur :

1/ rappel des droits des patients sur l’accès à leurs données 

2/ les données au service des patients ? qui aident le patient à mieux comprendre ou à plus investir dans son parcours de soin / mieux adhérer à sa stratégie de traitement

3/ la valorisation des données avec les patients (donner un statut au patient? Mentionner sa contribution dans les articles ? Etc)

Le diaporama support de son intervention est accessible ici.

VALORISER LES DONNÉES DU POINT DE VUE DU PATIENT – Eléments du débat

1. Les Droits des Patients sur Leurs Données : Focus sur le Portail de Transparence

Le fondement de notre discussion réside dans la reconnaissance des droits inhérents aux patients concernant leurs propres données de santé. Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) constitue la pierre angulaire de ces droits. Comme le précise la présentation, le RGPD offre plusieurs possibilités aux individus :

  • Le droit d’information, qui stipule que le patient doit être informé de l’usage qui sera fait de ses données. Un exemple concret serait un hôpital expliquant clairement lors de l’admission comment les données seront utilisées, que ce soit pour la recherche, la facturation, etc..
  • Le droit d’accès, permettant au patient d’obtenir une copie de son dossier médical électronique, potentiellement via des portails sécurisés comme MesDossiersMédicaux en France.
  • Le droit de rectification, qui offre la possibilité de corriger des informations erronées, comme un patient diabétique modifiant son dossier après une erreur de saisie de son taux de glycémie.
  • Le droit à l’oubli, qui donne la possibilité de demander la suppression de certaines données, par exemple des données génétiques après un test diagnostique.

Cependant, comme Maurice l’a justement souligné, l’information fournie aux patients est parfois lapidaire. L’exemple de la MGEN signalant la mise en place d’un entrepôt de données sans en préciser les objectifs ni les utilisations illustre ce point. Si l’adhérent dispose d’un droit d’opposition, la concision de l’information peut rendre son exercice difficile. Cette observation rejoint l’idée exprimée dans la présentation selon laquelle l’information doit être aussi individuelle et claire que possible.

Pour concrétiser ce besoin de transparence, la présentation met en avant le portail de transparence. Il s’agit d’une plateforme en ligne rendant publiques les informations relatives aux activités de recherche clinique. Les objectifs d’un tel portail sont multiples :

  • Informer le public.
  • Permettre aux patients de mieux comprendre la recherche.
  • Renforcer la confiance dans la recherche clinique.
  • Faciliter l’accès aux résultats.

L’importance de ce portail pour les patients est significative, car il offre un accès centralisé à l’information, favorise une compréhension accrue de la recherche, renforce la confiance et la participation, permet un meilleur suivi et une responsabilisation, et facilite l’exercice des droits.

2. Les Données Comme Moteur de l’Empowerment du Patient : Une Perspective Critique

Nous constatons une sensibilisation croissante des patients au sort de leurs données. L’idée de considérer les patients comme acteurs de la qualité de leurs données est une évolution intéressante, notamment par leur implication dans la collecte via des dispositifs de télésurveillance. Toutefois, il est crucial d’adopter une perspective critique sur cette notion d’empowerment.

Un risque de saturation cognitive, tant pour le patient que pour le praticien, a été soulevé, notamment dans le contexte de la gestion de maladies chroniques comme le diabète.

Quid de l’impact des associations de patient ?

  • Les représentants des usagers ou membres d’association de patients sont souvent issus de CSP +. Il est en effet également important de noter que les membres d’associations et les patients-partenaires ont souvent des profils particuliers, avec des niveaux d’études élevés et appartenant à certaines catégories socio-professionnelles, ce qui témoigne d’inégalités sociales dans la représentation.
  • L’avancée grâce à l’implication des associations de patients ne risque-t-elle pas de devenir un atout de vente » pour des services numériques dont les intérêts pour les usagers ne sont pas toujours clairs ? L’exemple de plateformes collaboratives comme Carenity, qui utilisent des questionnaires de santé comme monnaie d’échange pour des études dont les résultats restent anonymes, pose une question éthique importante sur la transparence des modèles économiques et la réelle valorisation des données du point de vue du patient.

3. Valoriser les Données AVEC les Patients : Vers un Nouveau Statut dans la Recherche ?

La question du « Quel statut pour le patient ? » est centrale pour une valorisation véritable des données qui tienne compte de leur perspective. La présentation a esquissé plusieurs pistes pour valoriser les données avec l’implication du patient :

  • Une mention de leur contribution dans les publications scientifiques et une possibilité d’intervention dans les colloques pourraient reconnaître leur rôle. Cette idée répond à la volonté de ne plus considérer le patient uniquement comme un objet de recherche.
  • L’attribution d’un statut de pair-aidant, comme dans certains projets de recherche en oncologie, est une autre voie pour valoriser leur expérience et leur expertise unique.
  • Enfin, une valorisation par le biais des représentants des usagers constitue une modalité complémentaire.

Sur l’utilisation de l’engagement des patients comme argument de vente soulève l’importance de clarifier le statut et le rôle des patients impliqués dans la recherche et la valorisation des données. Il est essentiel que leur participation ne soit pas instrumentalisée à des fins qui ne leur bénéficient pas directement ou dont ils n’ont pas conscience.

Nous pourrions faire un parallèle avec la responsabilisation du citoyen dans la gestion des risques, nécessitant une information claire de la part de l’État. Cela fait écho à la nécessité d’une redistribution de l’expertise entre patients et médecins, passant d’une logique de travail « sur » le patient à une logique de travail « avec » le patient, comme le soulignaient les travaux d’Everett Hughes.

En conclusion, la valorisation des données de santé du point de vue du patient est un enjeu complexe et multidimensionnel. Il nécessite non seulement de garantir l’effectivité de leurs droits fondamentaux, notamment par une information claire et accessible, mais aussi de repenser leur rôle dans le processus de recherche et de valorisation. L’idée de passer d’un statut d’objet à celui de sujet actif, dont la contribution est reconnue, est une piste prometteuse pour une approche plus éthique et participative. Les échanges que nous avons eus aujourd’hui enrichissent considérablement cette réflexion et ouvrent la voie à de futures explorations.

Proposition de loi Narcotrafic : les droits et libertés à nouveau victimes de l’addiction aux lois sécuritaires

Communiqué de l’Observatoire des libertés et du numérique (OLN), Paris, le 28 janvier 2025.

Voilà des mois que nos responsables politiques font mine de faire la guerre au trafic de drogues et que les médias leur emboîtent le pas de façon sensationnaliste, en amplifiant des faits graves, des tragédies humaines ou en donnant de l’écho à des opérations « choc ». Les sénateurs Jérome Durain (PS) et Étienne Blanc (LR), en cheville avec les ministres de l’Intérieur et de la Justice, cherchent à renforcer le dispositif répressif et de surveillance, abaisser le contrôle de l’activité policière et réduire les droits de la défense au nom de la lutte contre le trafic de stupéfiants.

L’Observatoire des Libertés et du Numérique (OLN) souhaite alerter sur les dangers de ce texte qui, au prétexte d’une reprise en main d’une problématique sociétale pourtant loin d’être nouvelle et appelant d’autres solutions que le tout répressif – comme le rappelait récemment le Haut commissaire aux droits humains de l’ONU -, vise à introduire et renforcer des mesures dangereuses pour les libertés et dérogatoires au droit commun.

La proposition de loi « Sortir la France du piège du narcotrafic », outre qu’elle convoque l’imaginaire des cartels mexicains, vise à renforcer largement le régime juridique d’exception de la criminalité organisée. Ce dernier déroge déjà au droit commun en ce qu’il permet que soient utilisés les moyens d’enquête les plus intrusifs et attentatoires à la vie privée dès lors que la commission de l’une des infractions figurant sur une liste qui ne cesse de s’allonger, est suspectée. Elle englobe ainsi une grande partie des crimes et délits lorsqu’ils sont commis en bande organisée ou via la constitution d’une association de malfaiteurs, mais aussi toutes les infractions relevant du trafic de stupéfiants.

La notion de criminalité organisée, insérée en 2004 dans le code de procédure pénale officiellement pour cibler des réseaux mafieux, s’applique donc en réalité à de nombreuses autres situations. Aujourd’hui, elle légitime, comme la lutte contre le terrorisme avant elle, d’élargir toujours plus les mécanismes d’exception en vue d’une répression accrue, au nom d’une logique d’efficacité, mais dont l’expérience montre qu’ils sont toujours détournés de leur finalité initiale. Par exemple, la qualification d’association de malfaiteurs a pu être utilisée dans des affaires relatives à des actions militantes, comme à Bure contre l’enfouissement des déchets nucléaires. En outre, depuis une réforme de 2016, les pouvoirs d’enquêtes du parquet, non indépendant car soumis à l’autorité hiérarchique du Garde des Sceaux, ont été renforcés et élargis en matière de criminalité organisée, évinçant encore un peu plus les garanties attachées à l’intervention du juge d’instruction.

Mais surtout, ce texte prévoit de faire tomber toujours un peu plus les barrières encadrant la surveillance policière. À titre d’illustration, il propose d’élargir le champ d’utilisation des « boites noires », cette technique de renseignement qui analyse les données de toutes nos communications et données récupérées sur internet via des algorithmes au motif de « détecter » de nouveaux suspects, technique que nous dénonçons depuis sa création. Initialement prévue pour le seul champ du terrorisme, elle a récemment été étendue aux « ingérences étrangères » et serait donc désormais aussi autorisée « pour la détection des connexions susceptibles de révéler des actes de délinquance et à la criminalité organisées ».

Le texte vise en outre à étendre la durée d’autorisation de la surveillance par géolocalisation ainsi que pour l’accès à distance aux correspondances en matière de criminalité organisée, tandis que l’article 23 amorce la possibilité d’utiliser les drones dans les prisons. De plus, il permettra à la police – via le service Pharos – de censurer sur internet « tout contenu faisant la promotion de produits stupéfiants ». Cette censure administrative avait été autorisée dans un premier temps pour les contenus pédopornographiques avant d’être étendue au terrorisme. Vous avez dit effet « cliquet » ? Ce texte constitue incontestablement une étape de plus vers la surveillance de masse et l’extension des pouvoirs de contrôle sécuritaire.

Enfin, il innove avec une mesure extrêmement inquiétante : « le dossier coffre », ou « procès-verbal distinct ». Prévue à l’article 16 du texte, cette mesure a pour objectif d’empêcher les personnes poursuivies de connaître la manière dont elles ont été surveillées pendant l’enquête, afin qu’elles ne puissent pas contourner cette surveillance à l’avenir ou la contester dans le cadre de la procédure. Les sénateurs proposent ainsi tout bonnement que les procès-verbaux autorisant et détaillant les modalités de mise en œuvre de cette surveillance ne soient pas versés au dossier, autrement dit qu’ils ne puisse jamais être débattus. Les personnes poursuivies n’auraient ainsi plus aucun moyen de savoir ni de contester quand et comment elles ont été surveillées, y compris donc, en cas de potentiels abus des services d’enquête. Le législateur créerait une nouvelle forme de procédure secrète, introduisant par là une faille béante dans le respect du principe du contradictoire et par suite dans le droit pourtant fondamental à se défendre, maillon essentiel d’une justice équitable et d’une société démocratique.

Si nous ne sommes à l’évidence plus étonnés de l’affaiblissement progressif des libertés publiques au nom des discours sécuritaires, une attaque à ce point décomplexée des principes fondateurs d’une justice démocratique témoigne de la profonde perte de repères et de valeurs des actuels responsables publics. Parce que la proposition de loi relative au trafic de drogues suscite de graves inquiétudes quant à l’atteinte aux droits et libertés fondamentales, nous appelons l’ensemble des parlementaires à rejeter ce texte.

Organisations signataires membres de l’OLN : Globenet, Creis-Terminal, la Ligue des droits de l’Homme (LDH), le Syndicat des Avocats de France (SAF), le Syndicat de la Magistrature (SM), La Quadrature du Net (LQDN), le CECIL.

N° 139 Terminal : Varia

Accès au numéro

N° 138 Terminal : La surveillance par l’image : usages, théories, résistances (XXe – XXIe siècle)

Sous la direction de Alice Aigrain et Celia Honoré

Cette introduction explore les liens historiques et contemporains entre l’image photographique et la surveillance à travers leur développement symbiotique depuis le XIXe siècle. La photographie, dès ses débuts, a été envisagée et promue comme un outil de surveillance, capable d’étendre la visibilité humaine, d’identifier, d’archiver et de classer les individus. Cette association entre image et surveillance a été réactivée avec l’émergence des nouvelles technologies, redéfinissant les pratiques et les espaces de la surveillance. Ce dossier de la revue Terminal propose une réflexion sur cette évolution, en s’appuyant sur des études historiques et contemporaines. Les articles de ce numéro mettent en exergue divers aspects de la surveillance par l’image. Anne-Céline Callens analyse l’utilisation de la photographie dans la surveillance des employés de l’entreprise Casino au début du XXe siècle ; Assia Wirth explore le travail des données à l’origine des technologies d’analyse faciale ; Michael Meyer étudie les effets des bodycams sur la surveillance policière ; Matthijs Gardenier s’intéresse aux usages des images par des groupes d’extrême-droite anti-migrants ; enfin, Édouard Bouté observe l’iconographie des vidéos de violences policières. Ensemble, ces contributions questionnent la réactivation des utopies photographiques du XIXe siècle, autant qu’elles analysent les nouvelles pratiques et les effets de l’extension de la surveillance à différents espaces et acteurs.

N° accessible sur Open Edition Journals