Anne-Marie Dieu et Marc Zune
LENTIC: 1, chemin du Trèfle, B13, 4000 Université
de Liège au Sart Tilman, Belgique.
Résumé : L’implication des utilisateurs est actuellement identifiée comme un vecteur essentiel pour le succès des projets de déploiement de nouveaux modes de système d’information. Par ailleurs, une grande partie de la littérature consacrée aux technologies de groupware se focalise sur les impacts socio-organisationnels de leur implantation et met en exergue l’ampleur du changement qu’il est susceptible de produire dans les organisations de demain. On conçoit qu’un lien soit fait par les auteurs entre l’ampleur supposée du changements et la problématique de l’implication des utilisateurs. Cette implication est présentée comme essentielle dans le cas d’outils visant au travail collaboratif, tant dans la conception des applications que dans leur implantation effective dans les organisations. Notre article vise à analyser quels sont les obstacles rencontrés sur le terrain à une implication réussie des utilisateurs dans ce type de projet et ce à partir des enseignements tirés d’une expérimentation dans une entreprise automobile européenne.
Abstract: User involvement in technology implementation is a critical criteria comonly identified by researchers as a success factor of information systems implementation projects. A major part of the litterature about groupware technologies studies the socioorganizational impacts of their implementation and underlines the importance of the changes that these technologies could generate in thomorrow’s work organisation. These authors make a link between the importance of the change expected and the importance of users’implication. Our article aims at analyzing the problems encountered in a real case concerning a projet of groupware technology ‘implantation.
Mots clés : Implication,
groupware, management de l’innovation
Une première approche s’attache
à rendre compte des impacts positifs de l’implication. Diverses
recherches ont en effet tenté de mesurer les avantages économiques
(accroissement de productivité, diminution de coûts), techniques
(meilleure adaptation des systèmes aux besoins, évolutivité
accrue), psycho-sociologiques (meilleure acceptabilité des systèmes,
diminution des résistances, ...) de la participation aux projets
informatiques [Tait 88], [Wilkin 91]. Certains des auteurs appartenant
à ce courant ont étudié des cas concrets d’implantation
de projets informatiques et ont mis en place des outils afin d’évaluer
la satisfaction des utilisateurs par rapport à ces projets [Bailey
83], [Conrath 90], [Baroudi 86], [Ives 83]. D’autres auteurs ont émis
des indications normatives sur les moments propices à l’implication,
l’enveloppe des utilisateurs à impliquer, les domaines informatiques
à prendre en compte, etc. [Hyclak 86], [Ginzberg 81], [Mumford 83],
[Robey 82]. Nous préciserons dans la suite du texte quelles sont
les prescriptions que l’on peut trouver dans la littérature pour
l’implication spécifique aux outils groupware.
Une deuxième approche,
plus récente, analyse les liens entre les applications installées,
les contextes d’implantation et les modalités d’implication des
utilisateurs. [Agro 95], [Bogdanowicz 95], [Barki 90], [Barki 92], [Grudin
88, 91]. Il s’agit d’études critiques, fondées sur une approche
analytique d’expériences concrètes d’implication dans des
contextes organisationnels contrastés. L’accent est mis sur le caractère
incertain et conflictuel de l’implication des utilisateurs dans des projets
informatiques. On en appelle aussi à une analyse, par les chefs
de projet, du contexte organisationnel dans lequel s’opère leur
action.
Par ailleurs, il nous semble que les théories sur l’implication des utilisateurs peuvent être utilement complétées par l’approche dite de la traduction développée par des auteurs comme Alkrich, Callon et Latour (1988). En effet, cette approche élargit l’angle d’analyse en intégrant les utilisateurs dans un réseau plus large d’interactions constitutives d’un projet d’innovation. Ce modèle " (...) met en scène tous les acteurs qui se saisissent de l’objet ou s’en détournent et souligne les points d’accrochage entre l’objet et les intérêts plus ou moins organisés qu’il suscite " [Akrich, Callon et Latour, 1988, p.14]. Le modèle accorde une attention particulière aux opérations de traduction réalisées. Il suppose la nécessité de " traducteurs " dans le processus d’innovation, capables d’articuler efficacement innovation technologique, contexte d’implantation et usages émanant des différentes catégories d’acteurs. Dans cette perspective, la manière dont les outils technologiques sont présentés et implantés dans l’organisation, autrement dit comment le mode de pilotage de l’innovation est mené, s’avère extrêmement stratégique.
Le discours sur l’implication
des utilisateurs est donc solidement ancré dans le champ des de
la recherche sur les technologies de l’information et de la communication.
Notre étude montrera quel relais ce discours trouve dans les pratiques
réelles d’implantation de nouveaux outils technologiques.
Le groupware a surtout été étudié sous le versant des impacts que son utilisation pourraient avoir dans les organisations. Les auteurs montrent également ce qui doit être changé dans l’organisation pour que ces outils puissent dégager leurs potentialités.
C’est au niveau des variables de structure que les outils groupware auraient le plus d’impacts car ils pourraient potentiellement remettre en cause quasiment l’ensemble des composantes organisationnelles. La différenciation verticale et le support administratif seraient moins prégnants grâce à la substitution des managers par la communication électronique étendue [Zuboff, 1988; Koppel et al., 1988]. Les mécanismes de coordination entre les opérateurs se verraient modifiés dans le sens de l’ajustement mutuel [Lucas et Baroudi, 1994]. Dans le même ordre d’idée, le travail collaboratif à distance d’équipes communiquant sans intervention d’un agent de liaison devient possible. La proximité géographique n’étant plus requise pour travailler de manière collaborante, les équipes peuvent être composées de membres localisés dans différentes régions ou pays. Les outils de support au travail collaboratif permettraient donc la constitution d'équipes de projet virtuelles. L'ensemble de ces caractéristiques pousse l’entreprise à adopter une configuration organisationnelle de type adhocratie virtuelle.
Vers des rapports humains basés sur la confiance et des pratiques de GRH basées sur la valorisation de la coopération
Les nouveaux outils de travail en groupe impliqueraient une nouvelle culture de travail basée sur la coopération d'opérateurs aux savoir-faire de plus en plus complexes. On quitterait donc une culture individualiste et compétitive pour une culture du savoir partagé. Ceci suppose la confiance entre les différents acteurs, aux différents niveaux hiérarchiques. Pour certains auteurs, les échanges de type virtuel devraient de plus permettre la réduction des effets de caractéristiques sociales sur les résultats du travail de groupe (impact de la couleur de peau, du sexe, de la position sociale, etc.).Par ailleurs, les opérateurs devraient trouver, grâce aux technologies de groupware, des moyens de mieux se réaliser par une responsabilisation accrue par rapport aux résultats de leur travail. Quelques auteurs montrent la nécessité, pour atteindre ces résultats, d’une action des managers en vue d’établir la congruence entre les outils implantés, la culture organisationnelle (basée sur la coopération) et les politiques de GRH (rémunérations, évaluation, formation, etc.) non compétitives [Craipeau, Orlinowski].
Vers un accroissement de la productivité et la réduction des coûts .
L'informatisation des communications écrites et audiovisuelles et du travail sur maquettes et plans aurait pour conséquence directe de limiter fortement différents coûts liés notamment aux frais de voyage, de sociabilité, de recherche d'information. D'autres avantages non aisément mesurables résideraient quant à eux dans les sursauts qualitatifs que le groupware permettrait par rapport aux manières traditionnelles de fonctionner en groupe. De plus, les fonctionnalités de mémorisation des actions des membres du groupe devraient permettre de constituer des bases de données évolutives qui pourraient servir de référence pour la menée de projets.
Le tableau ci-dessous résume
les différentes variables concernées par le changement dans
le cas d’introduction d’outils groupware. Trois grands groupes de variables
peuvent être distingués : les variables organisationnelles,
les variables sociales et les variables économiques.
Composante | Variable visée | Caractéristiques | Raison | Références |
Organisationnelle | Structure
|
Différenciation verticale plus faible | Réduction de relais de communication et de personnel administratif | [Alsène 95] |
Coordination | Davantage
d'ajustement mutuel et moins de standardisation
|
Utilisation massive de canaux de communication informels, coordination de savoir-faire complémentaires au sein de groupes de projets | [Lucas 94] | |
Taille et composition des unités | -
Mise en réseau d'unités de travail de petite taille et spécialisées
- Unités virtuelles |
-
Outsourcing, centrage sur les activités / métiers de base
- Travail par groupes de projet composés de manière ad hoc indépendamment de contraintes géographiques |
[Iskia
95]
[Fulk 95] |
|
Liaison entre unités | Liaisons directes facilitées par les TIC | Rôle des agents de liaison remplacé par les TIC | [Lucas 94] | |
Flux de communication | Prédominance des communications horizontales informelles | [Craipeau 1997] | ||
Sociales / GRH | Localisation du système d'influence | Décentralisation verticale de la prise de décision | -
Professionnalisation, empowerment, responsabilisation
- Confiance |
[Lucas 94] |
Nature des tâches | Créativité, innovation, flexibilité | Libération de l'opérateur des tâches administratives grâce à l'automatisation | ||
Culture de travail et pratiques de GRH | Congruence entre les présupposés du groupe et les pratiques de GRH | Culture collective, pratiques de GRH non individualistes, ... | [Orlikowski 92] | |
Attributs sociaux | Limitation des barrières sociales à la communication (race, sexe, position sociale, etc.) | Fonction d’anonymat de la communication | [Connoly 90] , [Jessup 96] | |
Economiques | Gains
quantitatifs
|
-
Accroissement de la productivité
- Baisse des coûts
- Gains de personnel |
-
Gains de temps de déplacement et de réunions de travail (réduction
des coûts de socialité)
- Annulation des temps de déplacement, réduction des temps de recherche d'information, etc. - Réduction des relais humains de communication et du personnel administratif |
[Alsène 95] |
Gains qualitatifs | -
Sursaut qualitatif du travail en groupe
- Optimisation des savoir-faire et de l'utilisation des outils |
-
Prise de risque,
- Fonction de mémoire collective des outils de groupware |
[Nunameker
94], [Karan 96 ]
[Jessup 96] |
|
Pour Orlinowski (1992, 1997) l'introduction
d'outils groupware dans une organisation doit se faire de manière
à permettre l'émergence des besoins et d'utilisations non
prévues au départ. En effet, les outils groupware constituent
ce qu'Orlinowski appelle une technologie ouverte. Cela ne signifie pas
qu'un plan de développement ne doit pas être prévu
mais ce plan doit être souple, aménageable et doit être
aménagé en fonction des expériences du terrain. L’auteur
met donc en avant la nécessité de styles de management "improvisationnels"
dans l’implantation d’outils de groupware, management qui laisse la place
aux usages émergents.
Craipeau plaide pour une expérimentation
ayant quelque peu les mêmes caractéristiques.
Elle prône en effet le
démarche processuelle comme démarche susceptible de mener
le projet à bon port. L’ expérimentation en tant que processus
(opposée à l’expérimentation en tant que procédure)
" est le lieu où se donne à voir la confrontation des stratégies
des acteurs sociaux " [Craipeau, 1997, p.180]. Elle nécessite du
temps et " repose sur l’implication des utilisateurs auxquels la direction
laisse une marge d’autonomie " [Craipeau, 1997, p. 181].
Ainsi, les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), à la différence des technologies de l’information traditionnelles, ne s’inscrivent pas simplement dans une logique de reproduction (automatisation de l’existant) : leur mise en oeuvre s’accompagne souvent d’un projet de mutation radicale des modes de fonctionnement en vigueur. En d’autres termes, elles sont porteuses de présupposés organisationnels [Alsène, 1994] qui heurtent souvent les contextes organisationnels dans lesquels il est prévu de les développer. On a vu que ce constat s’applique particulièrement au groupware, et renforce la nécessité de prendre en compte dans l’analyse de l’implantation de ces objets les facteurs non techniques tels que les représentations, attitudes, motivations, etc. des utilisateurs potentiels, les stratégies de management de cette innovation ainsi que le contexte organisationnel dans lequel elle se déploie.
Il est temps à présent
de voir comment cette nécessité a été comprise
dans le cas que nous avons étudié.
4. Le cas d’une entreprise automobile européenne
Introduction
L’étude de cas que nous allons aborder relate une expérience d’introduction d’outils de groupware qui, bien qu’ayant prévu au départ de ne pas sombrer dans le piège techniciste de la non implication des utilisateurs, s’est finalement révélée un échec tant sur le plan technique que sur le plan social. Face à une expérimentation qui s’avérera être un échec, nous essaierons dès lors de dégager les causes majeures du hiatus entre le projet d'implication des utilisateurs et la réalité du management de l'innovation.
En août 1996 une série de services, dont les responsables sont connus par un des trois membres de l’équipe pilotant le projet, sont contactés afin qu’ils marquent leur accord sur leur participation à l’expérimentation. Celle-ci est présentée comme le premier jalon de l’adoption d’outils groupware par l’entreprise. En novembre 96, notre équipe est contactée afin de réaliser une observation des usages des outils groupware et une évaluation socio-organisationnelle des changements induits par ceux-ci. Il est prévu que nos observations débutent dès janvier 97. Pour l’essentiel, les outils ne se déployant pas comme prévu, notre travail consistera en une analyse des modes de travail existant dans les unités concernées par l’expérimentation et un recueil, par voie d’interviews, des représentations des utilisateurs potentiels concernant le projet .
Trois champs d’expérimentation sont retenus pour l’évaluation socio-organisationnelle : le premier champ d’expérimentation concerne différents intervenants internes à l’organisation impliqués dans le développement, au début de la phase de pré industrialisation, d’un nouveau moteur. L’enjeu clé présenté est de maintenir des relations entre l’équipe ayant conçu le moteur et l’équipe en charge de la conception de la ligne de production de celui-ci, cette dernière se délocalisant à l’étranger. Jusqu’alors les deux équipes travaillaient en proximité physique.
Le deuxième champ d’expérimentation implique quant à lui un fournisseur à qui tout le développement logiciel destiné à améliorer les performances d’un moteur a été confié. Ceci suppose des échanges fréquents entre d’une part les ingénieurs et les techniciens du constructeur qui établissent les cahiers des charges et effectuent les spécifications et d’autre part les codeurs qui réalisent les codages chez l’équipementier, qui est localisé dans une autre ville. Il est prévu que ces personnes puissent travailler conjointement sur des fichiers partagés.
Le troisième champ concerne une équipe de dessinateurs et une équipe d’architectes moteur, travaillant auparavant sur des lieux physiquement proches. La CAO est ici concernée.
Pendant plus d’un an, des essais d’implantation des outils groupware vont se succéder non seulement sur ces sites désignés mais aussi sur d’autres sites de production de l’entreprise. Ces essais vont sans exception se conclure par des échecs : l’implantation des outils durera un an, et là où elle finira par se réaliser les acteurs concernés se détourneront d’outils jugés non matures et non pertinents par rapport à leurs besoins.
En mars 98, aucun site n’utilise les outils groupware et l’expérimentation est donc momentanément abandonnée pour cause d’immaturité et de non pertinence des outils.
4.2.1. Les acteurs promouvant
le projet et leurs représentations quant aux outils groupware et
à l'expérimentation.
C’est un informaticien de 50 ans, qui est le responsable principal du projet. Il va développer une position pro expérimentale des choses. Il est avant tout intéressé par les usages émergents qui vont se faire jour à partir d’outils nouveaux qui l’intéressent per se, en fonction de leur nouveauté et également parce que leur développement s’intègre dans un programme de recherche plus large sur le plan européen. Il est peu attentif aux contraintes de travail auxquelles doivent faire face les opérationnels qui sont soumis dans cette entreprise à délais de production de plus en plus courts. Le caractère non mature des outils proposés est en partie méconnu par cette personne qui a, peu à peu, au fil de son parcours professionnel délaissé le travail de conception et de réalisation technologique pour superviser des projets mis en oeuvre par d’autres. Ce caractère non mature est également en partie occulté auprès des utilisateurs qui seront participants aux expérimentations. La non maturité des outils n’est d’ailleurs pas perçue comme un réel obstacle aux expérimentations, au contraire, celles-ci sont en partie conçues comme des révélateurs des aspects technologiques à améliorer.
L’informaticien forme équipe avec deux responsables de la recherche dans l’entreprise qui sont intéressés par les aspects de changement organisationnel que ces outils peuvent apporter. Peu au courants des aspects technologiques, ils sont confiants dans la maturité des outils. Ils sont par ailleurs persuadés que ces outils portent en eux une potentialité quasi révolutionnaire allant dans le sens du travail concourant, forme de travail qui a été initiée précédemment dans l’entreprise par la création de plateaux multi-métiers. Ce qu’ils attendent des outils est donc l’installation de modes de coopération et de liaison différents qui, à terme, auront un impact sur la productivité. L’un de ces deux responsables, sociologue, est plus particulièrement porteur de l’idéologie de l’entreprise virtuelle-réseau.
La première (et unique) lettre d’information concernant le projet, rédigée en collaboration par ces trois personnes, débute dans les termes suivants qui résument la perspective dans laquelle s’insère l'expérimentation : " S’appuyant sur le constat que la compétitivité des entreprises résidera de plus en plus dans leur capacité à accélérer, à coûts décroissants et qualité maintenue, la mise sur le marché de produits innovants. Convaincue que l’ingénierie simultanée est la clé de voûte de ces progrès dans le domaine de la conception, notre entreprise souhaite tirer le meilleur parti des potentialités que recèlent les outils informatisés d’aide au travail coopératif. "
Les deux responsables de la recherche
sont soucieux d'accompagner au mieux l'expérimentation sur le plan
socio-organisationnel et de parvenir à impliquer les utilisateurs
dans celle-ci; c'est une des raisons pour lesquelles ils ont fait appel
à notre laboratoire de recherche. Cette volonté initiale
va pourtant se trouver pervertie par le développement ultérieur
du projet et le management général de l'expérimentation.
Dans l'entreprise étudiée, les responsables de service que nous avons rencontrés émettaient des réserves quant à l'espoir de voir émerger une utilisation massive et une propagation rapide des outils groupware dans l'organisation. En effet, ils estimaient que le personnel de l'entreprise n’est pas encore assez "mûr" pour utiliser ces outils de travail à distance. En comparaison avec d'autres constructeurs automobiles, ils signalent que le personnel de l'organisation utilise beaucoup moins les moyens télécom . Chez X, disent-ils, les gens ont besoin de se voir, d’avoir établi une relation de confiance pour pouvoir se dire des choses importantes. A partir du moment où les gens se connaissent bien, ils voient moins d’inconvénients à travailler à distance. Référence est faite ici à un élément central de type culturel pour expliquer une non-appropriation des outils groupware. Par ailleurs, les responsables eux-mêmes valorisent les rapports directs car disent-ils, les choses ne se négocient par exemple pas de la même manière autour d’un repas que lors d’une session de vidéoconférence.
Comme le montre encore Orlinowski, les nouveaux outils (ici le travail partagé et la visioconférence) sont évalués au regard des outils existants. Or la vidéoconférence est peu valorisée au sein de l'organisation. Certains interlocuteurs mettent ce rejet relatif des liens virtuels sur le manque de formation à l'utilisation de cet outil de communication. Les utilisateurs, non formés, en ont attendu les mêmes outputs que d'une réunion "en direct' et n'ont donc pu qu'être déçus. Ils projettent cette déception sur les nouveaux outils proposés.
De manière générale, les équipes concernées par l'expérimentation sont des équipes travaillant sur le développement des moteurs. Ces équipes sont soumises à des contraintes de production extrêmement fortes. En deux ans les délais de développement d'un nouveau moteur sont passés de 42 mois à 36 mois. Sur les sites visés par l'expérimentation, la tension est constante. Les outils ayant été présentés comme quasiment au point d'un point de vue technique, on attend d'eux qu'ils fonctionnent sans ratés et s'insère dans le planning de production. Cela ne sera évidemment pas le cas et entraînera une désaffection rapide vis à vis des quelques machines installées.
D’autre part, si les utilisateurs sont soucieux de la sécurité des données qu’ils échangent, il sont par contre demandeurs de postes de travail compatibles, avec la possibilité d'accéder à ses banques de données à partir du poste de travail dédié aux groupware. Or, c'est au moment des mises au point techniques que l'équipe chargée d'installation découvrira la difficulté de "distraire" un poste de travail opérationnel pour le transformer en station supportant des outils groupware.
Par ailleurs, en ce qui concerne le champ d'expérimentation n°1, les outils CAO avaient été présentés comme les outils pivots des échanges. Au moment de l'installation du matériel sur place, il apparaîtra que l'équipe concernée est essentiellement impliquée dans des échanges de type bureautique.
Conclusion
Dans le projet analysé,
les attentes et les perceptions vis-à-vis des outils groupware sont
contrastées selon les acteurs, les sites, les métiers et
le degré d’information sur le projet. Il n’y a pas de rejet à
priori de la part des utilisateurs potentiels mais des conditions à
l’utilisation des outils : un certain degré de performance et de
convivialité. Le caractère non opérationnel des outils
n’est pas perçu par les utilisateurs participant aux expérimentation.
Le directeur du projet sur le plan informatique fait fi de cette information
comme des contraintes dans lesquelles les utilisateurs sont amenés
à participer à l’expérimentation
Le responsable informatique du
projet comme les deux responsables de la recherche restent prisonniers
de leur propre logique et perceptions du projet, malgré les interviews
révélant des attentes différentes. Si l’on excepte
une feuille d’information, très technique et dithyrambique, consacrée
au projet lors de son lancement, il n’y a pas eu, de la part des promoteurs
du projet, de moment de rencontres et d’échange avec les équipes
utilisateurs potentiels. Bref, de réels moments de traduction n’ont
pas été instaurés.
De plus, dans le projet étudié, aucun des trois responsables n’est identifié par les utilisateurs comme un pilote jouissant d’une reconnaissance institutionnelle et d’une légitimité interne. Une série d’utilisateurs ne les connaissent même pas. Chacun attribue le projet à une personne ou un service différent. Les trois responsables privilégient les rapports bilatéraux avec les cadres des services concernés plutôt que de réelles séances d’information, y compris sur les limites du projet, avec les utilisateurs finaux.
L’implication des utilisateurs,
annoncée comme un objectif prioritaire au départ, s’est donc
heurtée dans le déroulement du projet à l’incapacité
de la part des responsables du projet à mettre en place une réelle
démarche d’intéressement au projet qui aurait permis cette
implication.
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