L'amélioration de la relation entre l'administration et les citoyens au niveau local : le cas des villes virtuelles

 

 

Béatrice van Bastelaer[1]

 

 

 

 

 

Résumé

Cet article aborde la problématique des changements éventuels induits par l'introduction des technologies de l'information et de la communication dans les relations entre l'administration publique locale et les citoyens. Au sein de ces relations, l'auteur s'intéresse à un aspect particulier, l'interactivité, et plus particulièrement à la manière dont cette interactivité est effectivement gérée dans les administrations locales. Pour illustrer son propos, l'auteur s'inspire de quelques exemples de villes virtuelles belges.

Abstract

This article is about the changes induced by the introduction of Information and Communication Technologies in the relationship between local public administrations and citizens. Within these relations, the article stresses one specific aspect: interactivity, and more precisely the way interactivity is managed by the local administrations.

 

Mots-clé

 

 

Villes virtuelles, communes interactives, interactivité, administration locale, réorganisation, citoyens


1. Introduction

Dans l’introduction du rapport du groupe VECAM "Démocratie locale et usages de l’Internet" [Ministère délégué à la ville 99], les auteurs relatent que, lorsque le Premier Ministre français Lionel Jospin a demandé aux citoyens et associations de réagir à son programme "Préparer l’entrée de la France dans la Société de l’Information", aucune autorité représentative ou délégative n’a su gérer ou intégrer l’avalanche de remarques, contributions, commentaires, orientations qui ont été envoyés par courrier électronique. Le rapport souligne aussi que le même problème avait été rencontré par la Commission européenne avec la mise en ligne du livre vert "Vivre et travailler dans la société de l’information". Dans les deux cas, aucun processus de gestion de l’interactivité n’avait été pensé et mis en place. Par rapport aux projets internet municipaux proprement dits, Th. Vedel [2000] faisant référence aux travaux de Pratchett rappelle que l'on constate "une adaptation insuffisante des structures organisationnelles et institutionnelles" et que "de nombreux sites créés par les villes suscitent (...) des attentes et des exigences nouvelles auxquelles les services municipaux n'ont pas été préparés" (pp. 258-259).

Cette question est au centre de cet article. Celui-ci s’intéresse en effet à la question de l'amélioration de la relation entre l'administration et les citoyens au niveau local, c'est-à-dire via ce que l'on appelle les villes virtuelles. Au sein de cette relation, il aborde donc un aspect particulier, l'interactivité, et, plus particulièrement, la manière dont cette interactivité est effectivement gérée par les administrations locales.

2. Le développement des villes virtuelles en Belgique

L'éclosion des villes virtuelles en Belgique est un phénomène relativement récent, au Nord [van Bastelaer 1999a] comme au Sud du pays [Steyaert 1999]. Alors qu'en 1997, on recensait moins de 200 sites pour les 589 communes du pays, deux ans plus tard, on dénombrait plus de 190 communes[2] présentes sur Internet sur les quelque 280 que compte cette partie du pays[3] alors qu'en Flandre, le chiffre montait à 160 sur 308. Dans les deux parties du pays, les résultats des enquêtes menées sur le sujet sont relativement similaires [van Bastelaer 1999b].

En résumé, en 1999, sur les nombreux sites existants, environ 1/5 en moyenne (15% en région wallonne et 28% en région flamande) étaient des sites officiels du type www.nomcommune.be, les autres sites étaient par exemple le fait de particuliers, d'associations locales et surtout d'organismes provinciaux[4] (organismes chargés du développement informatique des communes, agences de promotion et de développement économique, provinces) qui ont réalisé une page standard pour toutes les communes de la province. Cette situation très contrastée influe sur le contenu des sites et sur leurs objectifs .

Depuis lors, le gouvernement wallon a décidé d'inciter, par un subside de 200.000 BEF (environ 5000 euros), les communes wallonnes à développer un site communal d'information orienté vers le citoyen [Ministère de la Région Wallonne 2000]. Ce site qui comprendra des éléments d’information, de transaction et de communication doit répondre à des exigences minimales de contenu.  Cette initiative vise principalement à développer les sites "officiels" avec une vision un peu réductrice du concept de ville virtuelle, à savoir principalement des administrations locales en ligne où la place laissée aux différents acteurs de la vie urbaine, notamment aux citoyens, est relativcment congrue, tendant à faire de ces villes virtuelles, des "îles virtuelles" où l'administration locale est la seule à habiter [Steyaert, 1999].

3. Le concept d'interactivité et le constat d'absence d'interactivité

3.1. Définition de l'interactivité

Dans le domaine des TIC, l'interactivité est un concept un peu "bateau" que l'on met à toutes les sauces sans trop savoir ce qu'il signifie précisément. Les concepteurs de site, les offreurs de technologie mettent souvent en exergue cette "qualité technique" d'Internet ([Loiseau 1999] et la présentent avec fierté comme une des valeurs ajoutées de leur projet. Proulx et Sénécal [1996] soulignent que la définition de l'interactivité n'est pas neutre : "les sens attribués à l'idée d'interactivité font l'objet de luttes socio-sémantiques entre acteurs sociaux impliqués dans le développement des techniques d'information et de communication" (p. 143). Ils ajoutent que "les luttes entourant la définition des termes mêmes d'interactivité et de démocratie par les médias révèlent le jeu d'acteurs sociaux aux intérêts divergents et peuvent dévoiler des enjeux sociaux importants" (p. 150). On pourrait ajouter à cela que les chercheurs doivent également être considérés au rang de ces acteurs sociaux et, concernant les enjeux en présence, qu'il ne faut pas minimiser les enjeux organisationnels, comme nous le verrons par la suite.

A notre sens [van Bastelaer 2000b], l'interactivité n'est pas seulement un concept technique. Elle fait référence à un processus de communication et, comme tel, doit être gérée. C'est la raison pour laquelle ce concept doit être lié à la réorganisation de l'administration, c'est-à-dire à la manière dont le fonctionnement de certaines administrations doit être repensé afin de gérer l'interactivité, de même que d'autres caractéristiques d'Internet (compression espace-temps, disponibilité 24h/24, temps réel et immédiateté, …).

L'interactivité concerne une communication bilatérale dans laquelle différents niveaux doivent être distingués [Rice 1987]. C'est la caractéristique d'une relation de communication entre deux entités, A et B, qui prend place dans un contexte spécifique [van Lieshout 1999, Hacker 1996]. Selon van Lieshout, l'aspect clé de cette relation est que, si A envoie un message à B, ce dernier lui répondra en tenant compte de sa demande initiale. Il ne s'agira pas d'un simple message de confirmation. Pour Hacker, l'interactivité concerne donc la relation étroite entre des messages dans une séquence de messages. Même si les caractéristiques propres à chaque média ne sont pas neutres et induisent un processus de communication particulier, l'interactivité ne peut être vue comme la caractéristique d'un média proprement dit ; elle n'est pas "centrée sur le média" (media-centred). Au contraire, selon van Lieshout ou Hacker, l'interactivité caractérise le processus de communication lui-même ; elle est donc "centrée sur la communication" (communication-centred).  Pour I. Pailliart [2000], dans une perspective de démocratie électronique, la caractéristique des nouvelles technologies de l'information et de la communication est leur possibilité de favoriser l'interactivité qui "offre des capacités d'intervention directe des habitants dans la délibération ou le processus décisionnel : déposer un avis, questionner le pouvoir local" (p. 135). L'interactivité semble dès lors se caractériser par une relation immédiate, un contact direct, dans ce cas précis, entre les élus et les habitants.

Une interactivité centrée sur la communication implique que les forums de discussion, le courrier électronique, les formulaires en ligne ont un potentiel interactif qui peut se réaliser si et seulement s'ils sont effectivement utilisés et si l'information qu'ils produisent est utilisée et gérée. Si ce n'est pas le cas, l'interactivité réelle des applications est faible.

Selon Serge Proulx et Michel Sénécal, la notion d'interactivité technique est souvent liée avec l'interaction sociale : l'interactivité technique implique ou crée nécessairement l'interaction sociale. En 1984 déjà, Mercier, Plassard et Scardigli soulignaient qu'il était tentant de réduire l'idée d'interaction à l'interactivité technique.

Cette interaction fait référence à une idée de réciprocité dans la relation et de résultat : la situation est en effet transformée suite à cette interaction. Proulx et Sénécal soulignent que cette notion d'interactivité est souvent introduite, comme un concept "miracle" dans les discours sur la démocratisation des médias. Isabelle Pailliart [1993] fait le même constat : l'idée d'interactivité est même utilisée à la place de la notion de démocratie locale.

Dans la vision dominante de pur déterminisme technologique, l'interactivité par essence permet donc de démocratiser les médias ; elle permet aux utilisateurs de devenir producteurs d'information, de s'exprimer et, donc, d'accroître leur participation à la vie sociale. "Les possibilités d'interactivité technique mettent en évidence la figure d'un habitant actif, susceptible de s'impliquer dans les affaires locales" et de se transformer "en citoyen actif et responsable" [Pailliart 2000, p. 136]. Pour Proulx et Sénécal, il va cependant de soi que l'interactivité n'est pas une condition suffisante pour améliorer la démocratie. Mercier, Plassard et Scardigli précisent aussi que l'interactivité n'est qu'une des potentialités offertes par les nouvelles technologies et, en 1984 (!), rien n'indiquait qu'elle se développerait plus que les autres.

Quelle que soit la définition que l'on donne à l'interactivité, cet élément a une importance cruciale dans la construction d'applications utilisant les tic. Les choix posés en termes d'interactivité révèlent la conception prévalant au niveau de la communication de même que la place que l'on souhaite laisser aux utilisateurs, dans ce cas surtout les citoyens [Pierson 2000].

3.2. Absence d'interactivité dans les applications

Dans de nombreux exemples[5], les potentialités de la technologie multimédia sont sous-exploitées : l'interactivité réelle est encore faible, la culture Internet ou, en tout cas, une certaine connaissance de ses caractéristiques comme la compression espace-temps sont encore fort absentes.

Le manque d'interactivité est étonnant quand on analyse les discours sur les technologies de l'information et de la communication en général ou sur Internet en particulier, dans lesquels ces technologies sont présentées comme interactives par essence. Comme le soulignent Proulx et Sénécal, "la rapidité avec laquelle on adjoint - dans les discours - le terme interactif à diverses techniques médiatiques, sans pour autant en donner un sens précis, indiquerait que, bien souvent, son utilisation relèverait davantage d'une astuce de vente que d'une description adéquate de la technologie mise en place " (p. 150).

La plupart du temps, Internet est pourtant utilisé comme un simple terminal d'information [Kunzmann 1998], comme un moyen unilatéral et vertical de diffuser de l'information [Hacker 1996] ou comme une entrée dans une base de données [Tambini 1998]. Stephen Graham et Alessandro Aurigi [1997] confirment cette tendance : "une caractéristique commune à plusieurs villes virtuelles semble être une relative uni-directionnalité et un manque d'opportunités pour une interaction pure et des communications" (p. 37).

Les études menées par la CITA sur les villes virtuelles en Belgique vont dans la même direction, même si l'étude réalisée en 1999 souligne que de plus en plus de villes et communes virtuelles en Belgique francophone proposent des formulaires administratifs et un contact direct via le courrier électronique. Néanmoins, comme indiqué plus haut, la mise à disposition de formulaires électroniques ne signifie pas automatiquement que le site est interactif. Il sera important de voir quel traitement sera effectué sur base de ces formulaires et si la demande exprimée par l'utilisateur sera rapidement et correctement traitée.

Quant aux forums de discussion, ils sont encore peu présents sur les sites, dont les sites belges, notamment parce que certains s'interrogent sur leur réelle utilité, la fréquentation de ceux-ci étant encore très faible. Selon un des participants à la première Rencontre Réelle de Villes Virtuelles organisée aux Facultés de Namur en juin 1998 [van Bastelaer 1998], on donne l'occasion aux citoyens de s'exprimer mais ils ne saisissent pas l'opportunité.

La sous-exploitation des potentialités multimédia des tic semble donc être observée dans différents cas. Il importe d'essayer d'en comprendre les raisons. Théoriquement, cela pourrait s'expliquer par l'absence d'applications ou de logiciels utilisant effectivement ces potentialités multimédia. Cela ne semble cependant pas être le cas. Cette sous-exploitation paraît davantage s'expliquer par un manque d'imagination quant à ce qu'il est possible de faire concrètement ou par la difficulté à appliquer des caractéristiques techniques à une réalité sociale et organisationnelle parfois complexe.

4. La gestion de l'interactivité au sein des administrations locales

La réflexion sur la gestion de l'interactivité dans et par les administrations locales nous semble cruciale pour des raisons de "stratégie" mais également de cohérence.

L'interactivité, comme nous l'avons définie plus haut, fait clairement référence au processus de communication bilatérale entre l'administration et les citoyens, à ce dialogue que de nombreux discours, notamment en Belgique [De Vos 2000] mais pas seulement, disent vouloir rétablir. Dans le cadre donc de ces politiques de modernisation de l'administration et d'amélioration de la relation entre administration et administrés, il est primordial de ne pas négliger la gestion de ce dialogue, de cette communication, c'est-à-dire la gestion de l'interactivité.

Au niveau de la cohérence, la réflexion va dans le même sens. Si les administrations locales prennent la peine d'investir des ressources humaines et financières dans le développement de sites orientés vers les citoyens, elles ne peuvent faire l'économie de la gestion qui doit accompagner ces sites, sous peine que les citoyens ne se rendent vite compte que le projet reste au stade du discours, qu'il n'est pas suivi de faits concrets et que, dès lors, ils ne se détournent du site. En effet, il est hautement préférable de ne pas donner la possibilité aux citoyens de contacter directement les services communaux ou les fonctionnaires, de même que les élus, plutôt que de ne pas répondre à leur demande.

Cette question de la gestion de l'interactivité comprend deux sous-questions : que faut-il gérer et comment doit s'organiser la gestion ?

4.1. Les principaux éléments interactifs à gérer

De manière générale, les villes virtuelles contiennent trois éléments dont l'importance est variable selon les cas : des informations, des possibilités de transaction et des possibilités de communication.

Les informations peuvent être de différentes natures : administrative, politique, pratique, économique, touristique, culturelle, sociale, ... Même si la maintenance de ces informations exige une attention certaine et une gestion en conséquence, la mise à disposition d'informations sur le site d'une ville virtuelle ne rentre pas dans la définition de l'interactivité. Nous ne nous attarderons pas dans cet article sur la question de la gestion des informations, bien qu'elle soit primordiale. Cette question pourrait faire l'objet d'un article à elle seule.

L'aspect "transaction" va plus loin que la simple mise à disposition d'informations. L'implication de l'utilisateur est plus importante ; il ne s'agit plus seulement de chercher une information mais d'effectuer une commande ou une réservation. Par rapport à une ville virtuelle, il s’agit notamment de permettre de commander électroniquement des documents administratifs, de commander d'autres types de documents, de remplir différents formulaires, de nature administrative, mais pas nécessairement, et d'effectuer des réservations diverses.

Au niveau de la communication, on pense à la communication de la commune vers les citoyens via le courrier électronique mais éventuellement aussi des citoyens entre eux directement par courrier électronique ou par le biais de forums de discussion, c'est-à-dire à divers éléments susceptibles de contribuer à une certaine démocratie locale[6].

Selon notre définition, seules les transactions et les communications ont un potentiel interactif qu'il va falloir gérer. Afin de parvenir à une gestion efficace, il est nécessaire de préparer l'administration, de définir les principales tâches de gestion et de désigner des responsables pour ces tâches.

4.2. Les différentes possibilités de gestion de l'interactivité

Dans le cas des transactions, il s'agit de déterminer comment ces demandes électroniques seront traitées : y aura-t-il un service central de traitement des procédures/commandes électroniques ou une personne responsable qui sera chargé(e) de contacter les services concernés ? Au contraire, les commandes seront-elles directement reçues par ces services ? Au niveau des possibilités de communication, c'est principalement le courrier électronique qu'il faut gérer.

De manière générale, il est nécessaire de déterminer si la gestion va s'effectuer de manière centralisée ou décentralisée ou selon une solution mixte.

4.2.1. Une gestion centralisée

En ce qui concerne les transactions, comme les communications via le courrier électronique, une gestion centralisée implique un service ou une personne responsable des contacts avec les citoyens, ou plutôt, intermédiaire dans les contacts entre les services administratifs et les citoyens.

Pour les transactions, cela signifie qu'un service central reçoit les demandes électroniques en provenance des citoyens, envoie éventuellement un message de confirmation au demandeur, vérifie le paiement le cas échéant, contacte le service concerné en lui demandant d'envoyer le document demandé et signale au demandeur que le document a été envoyé. A Chaudfontaine, par exemple, la commande est reçue par un service central, le service InfoComNet, du nom du projet de site communal de Chaudfontaine. Ce service se charge d'envoyer le message de confirmation et la référence de la demande au "client". En même temps, il fait suivre la demande au service concerné qui se charge lui-même de la vérification du paiement, par PC Banking et de l'envoi. A Namur, toute la procédure est directement traitée par le chef du service Etat civil de même qu’à Ans où les demandes sont reçues par le service concerné qui vérifie le paiement avant l’envoi du document demandé.

Pour le courrier électronique, on peut ne proposer qu'une seule adresse et faire suivre les demandes reçues aux différents services concernés plutôt que de permettre de contacter directement ces services. Il s'agit en fait de ne proposer qu'un seul interlocuteur électronique aux citoyens qui leur garantit le traitement de leur demande. Pour faciliter la gestion, cet interlocuteur peut tenir un registre du courrier électronique entrant et sortant de manière similaire à ce qui se fait pour le courrier papier traditionnel.

Cette solution centralisée présente un certain nombre d'avantages et d'inconvénients. Au niveau des avantages, elle simplifie la démarche pour les citoyens et maximise le taux de réponse aux demandes reçues électroniquement car ces réponses ne dépendent que d'une seule personne ou d'un seul service qui en est explicitement responsable. Au niveau des inconvénients, cette tâche peut rapidement s'avérer lourde à gérer si le volume de demande est important. En outre, le responsable du guichet unique doit s'assurer que les autres services répondent rapidement à la demande. Ceux-ci pourraient ne pas apprécier cette "intrusion" dans leur travail et ne pas toujours être enclins à collaborer rapidement.

4.2.2. Une gestion décentralisée

A contrario, dans le mode décentralisé, les services sont directement responsables du traitement des transactions électroniques et de la réponse au courrier électronique. A Mons, par exemple, la commande est reçue par le service Etat civil/Population. Un message de confirmation est envoyé automatiquement . L'effectivité du paiement est également vérifiée directement par le service concerné sur la base des extraits de compte.

Les avantages et les inconvénients sont exactement opposés à ceux de la solution centralisée. Répartition de la charge de travail sur différents services et responsabilisation de chacun de ceux-ci d'un côté, risque de non-réponse et opacité potentielle de la démarche pour les citoyens de l'autre.

4.2.3. Une solution mixte

On constate de plus en plus qu'une solution mixte est adoptée par les communes ou que celles qui, comme à Charleroi, avaient au départ opté pour une solution centralisée se dirigent progressivement vers l'option de décentralisation, notamment vu la lourdeur de la tâche. Le mode centralisé peut donc être vu comme une première étape qui peut être abandonnée quand la formation du personnel et sa sensibilisation aux questions de gestion de l'interactivité sont suffisamment développées.

Dans le cas d'une solution mixte, la procédure peut être scindée. Pour les transactions, la réception de la commande électronique, l'envoi du message de confirmation et de la référence et la vérification du paiement peuvent se faire en un seul lieu, éventuellement au sein d'un service central de traitement des procédures électroniques. Une fois le paiement confirmé, la demande est envoyée au service concerné qui prévient le service central de traitement des procédures électroniques de cet envoi. On pourrait éventuellement concevoir un registre, papier ou électronique, relatif aux procédures électroniques, pour garder une trace des différentes étapes de celui-ci.

Au niveau du courrier électronique, les messages sont reçus à une adresse centrale qui les fait suivre vers les services concernés directement responsables de leur traitement. Le citoyen n'a qu'un interlocuteur électronique initial, mais cela implique éventuellement un certain contrôle de l'effectivité de la réponse apportée par les différents services.

Certaines communes wallonnes ont opté dans un premier temps pour une gestion centralisée avec l'optique de décentraliser la gestion par la suite. C'est le cas de Seneffe ou de Charleroi. Erik Morren, responsable du projet "Seneffe l'Interactive", expliquait, lors de la deuxième Rencontre Réelle de Villes Virtuelles organisée aux Facultés de Namur en juin 1999 [van Bastelaer 1999c], qu'à terme, Seneffe envisageait l'arrivée du courrier électronique le plus loin possible dans la commune et donc, idéalement, directement vers les fonctionnaires concernés, mais que le courrier électronique avait été provisoirement centralisé, essentiellement pour des raisons techniques . Au cours de cette deuxième Rencontre, Bernadette Martin, chef du service Etat civil/Population de l'administration de la Ville de Charleroi, expliquait pour sa part que, pendant longtemps, une seule personne, qu'elle a qualifié de "personne interface", centralisait toutes les questions, était chargée ensuite de collecter les réponses et de répondre elle-même à toutes les demandes [van Bastelaer 1999c]. Par la suite, la demande formulée a été automatiquement transférée au centre opérateur responsable. Elle soulignait cependant la crainte que le centre opérateur puisse ne pas être intéressé ou concerné par l'urgence de certains dossiers. A son avis, une solution résidait dans la "surveillance des personnes à risque" sans préciser davantage ce qu'il fallait entendre par ce terme.

Conclusions

Les villes virtuelles présentent certainement des possibilités intéressantes en termes d'amélioration de la relation entre administration et administrés. Cependant, les applications techniques ne peuvent être pensées en-dehors de leur contexte de développement et les potentialités que les tic recèlent dans le domaine doivent être effectivement gérées pour produire tout leur effet. L'importance stratégique de cette gestion a été soulignée.

C'est pourquoi une prise en compte par les responsables administratifs des conditions organisationnelles nécessaires à une intégration efficace des tic au sein de l'administration locale est indispensable. Cette gestion peut se faire de manière centralisée, décentralisée ou mixte. Chaque solution présente ses avantages et ses inconvénients et la gestion centralisée peut être perçue comme la première étape vers la décentralisation une fois que les services administratifs sont suffisamment formés et sensibilisés à ce nouveau type de relation avec les citoyens.

Néanmoins, il importe de garder à l'esprit que la gestion de l'interactivité de même que le souci de rendre le travail des administrations le plus transparent possible ont des limites car, comme le rappelle Dominique Wolton [1999], les tic recréent une certaine bureaucratie et une totale transparence sociale est impossible.

"Et rien ne serait plus faux que d'imaginer une société où la bureaucratie aurait disparu dès lors que chacun pourrait tout faire à partir de son terminal. C'est oublier les leçons de l'histoire : les hommes, les organisations, les institutions inventent sans cesse des processus bureaucratiques parce que la transparence sociale est impossible. Chacun, malgré les discours qui prônent des relations plus directes, introduit néanmoins des intermédiaires bureaucratiques, des filtres, des règles, des interdits, des signes de distinction pour protéger sa relation avec autrui. Les relations sociales se simplifient ici pour s'obscurcir ailleurs, comme si les individus qui ne rêvent et ne parlent que de transparence et de relations directes, ne cessaient d'inventer, simultanément, de nouvelles chicanes, de nouveaux écrans, de nouvelles sources de hiérarchies.

Ce que l'écran permettra de simplifier, et de rendre plus direct et transparent d'un côté, sera au contraire plus réglementé, plus fermé et plus codé de l'autre. Les sociologues l'ont bien montré : plus il y a de transparence, plus il y a de rumeurs et de secrets. Tout simplement parce qu'il n'y a jamais de rapports sociaux transparents" (p. 109)

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[1] Coordinatrice de recherches, Cellule Interfacultaire de Technology Assessment (CITA), Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix de Namur (Belgique), Tél. +32 81 72 49 94, Fax. +32 81 72 49 67, courriel : bvb@info.fundp.ac.be, site web de la CITA : http://www.info.fundp.ac.be/~cita.

[2] Mais 260 sites car certaines municipalités sont présentes sur plusieurs sites, des sites "officiels" du type www.nomcommune.be et des sites "non officiels".

[3] 262 communes wallonnes et 19 communes de la Région Bruxelles-Capitale.

[4] En plus de ces trois régions (Région flamande, Région wallonne et Région de Bruxelles-Capitale) et de ces trois communautés (Communauté flamande, Communauté française et Communauté germanophone), la Belgique compte dix provinces.

[5] Voir les quatre cas présentés dans l'ouvrage de van Bastelaer, B. [2000a]. Voir aussi van Bastelaer, B. [1999a] à propos des villes virtuelles en Belgique francophone, Steyaert, J. [1999] concernant les villes virtuelles en Belgique néerlandophone, Nunn, S., Rubleske, J.B. [1997] à propos des principales villes virtuelles des Etats-Unis, Schmidtke, O. [1998] quant au projet Berlin in the Net, Kunzmann, K.R., Brödner, H.B., Rücker, A. [1998] en ce qui concerne les villes virtuelles allemandes en général ou encore Tambini, D. [1998] à propos d’IperBolE à Bologne.

[6] Notre but n'est pas ici de nous attarder sur ce concept de démocratie locale. Le lecteur qui souhaite approfondir cette question lira avec intérêt le numéro spécial de la revue Hermès, www.démocratie locale.fr, consacré à la question, de même que l'étude de Gérard Loiseau sur la démocratie locale dans les grandes villes françaises [Loiseau 1999].