Des discours d’accompagnement aux usages des technologies culturelles

 

 

Bourdeloie Hélène

 

 

11 rue Roger Salengro,  94 270 Kremlin-Bicêtre - France – mail: helenes@club-internet.fr

 

 

 

Résumé :

 

De nombreux discours utopiques accompagnent le développement des technologies de l’information et de la communication (TIC), comme il en a été souvent le cas à chaque apparition d’une innovation technique. Nous nous intéressons dans ce texte aux discours des acteurs politiques relatifs aux enjeux culturels des TIC, notamment à partir du Programme d'Action Gouvernemental de janvier 1998 qui marque l’engagement de la France pour entrer dans la « société de l’information ». Il semble qu’avec ces discours, on assiste à une représentation techniciste qui d’une part nie les expériences du passé concernant ces technologies culturelles, et d’autre part fait l’économie d’une réflexion sur l’usage de ces dernières. La recherche scientifique tant théorique qu’empirique semble en effet aller à l’encontre de ces discours. Si les travaux sur la sociologie des usages ne semblent  pas recevoir de succès auprès des acteurs politiques, on peut supposer que c’est parce qu’ils participent à une vision désenchantée du monde.

 

Numerous utopian discourses accompany the development of Information and Communication Technologies, as has been the case with all technical innovations.  In this text, we explore the speeches of political figures relating to the cultural implications of TIC, specifically following the January 1998 "Programme d’action gouvernemental" which marks France's commitment to entering in “information society”. It would appear  that in these speeches, we are witnessing a representation which favours technique, but that on the one hand denies experiences of the past concerning cultural technologies and on the other minimizes reflection on these cultural technologies.  Scientific research both theoretical and empirical, however, runs counter to these political speeches.  If research into the sociology of (TIC) use has not been incorporated in political speeches, we can assume that this is due to a disillusioned world view on the part of the sociology of communication.  
 

Mots clés: Technologie de l’information et de la communication, multimédia, communication, Internet, cédérom, utopie, discours, sociologie des usages, déterminisme technique, hypertexte, interactivité, cyberculture.

 

Introduction

 

Dans les années quatre-vingt, le thème de la société de consommation apparaît obsolète, le thème de la communication lui succède dans le prêt à parler contemporain [Neveu, Rieffel, 1991, p.18]. Avec ces discours sur la communication,  on voit apparaître une « nouvelle idéologie » [Proulx, Breton, 1989]  qui prend corps sur la base de faits réels : l’explosion de l’audiovisuel, l’essor des diverses technologies etc. Ces machines à communiquer semblent être les garantes de cette nouvelle « société de communication ». Les nombreux discours qui ont érigé la communication en valeur  ont conduit certains analystes [ibid.] à rechercher comment cette «nouvelle idéologie » a pu se cristalliser.

Aujourd’hui, les discours utopiques qui se déploient de nouveau au sujet des technologies de l’information et de la communication (TIC) ne font qu’abonder dans le sens des discours préexistants qui ont entretenu le mythe d’une société communicationnelle. Ces technologies, et spécifiquement l’Internet, seraient même devenues l’objet d’un véritable « culte », si l’on en croit Philippe Breton [2000].

 

Si les discours utopiques sont constitués par divers acteurs comme les industriels, les médias, les scientifiques etc., nous nous limiterons dans ce texte aux discours des acteurs politiques dont l’utopie se traduit par les divers rapports et discours apologétiques qui ont fleuri relativement à l’Internet et, d’une manière générale, aux technologies multimédia. Cette abondance de discours relatifs aux TIC a d’ailleurs retenu l’attention de Philippe Breton qui parle d’une « épidémie de rapports gouvernementaux » à la fin des années quatre-vingt dix [2000, p.24].

Les TIC recouvrent divers enjeux, politiques, économiques, mais en France, les autorités gouvernementales tendent à souligner les enjeux culturels des autoroutes de l’information [Vedel, 1996, p.17] ; aussi deux volets correspondant à deux priorités du Programme d’Action Gouvernemental pour la Société de l’Information [PAGSI] proposé en janvier 1998 formeront l’ossature de ce texte. D’une part, le gouvernement   considère dans ce rapport que les potentialités offertes par les TIC permettent un nouveau mode d’accès au savoir comme de nouveaux modes d’apprentissage ; d’autre part, les TIC y sont appréhendées comme des vecteurs de démocratisation culturelle. Pourtant, il apparaît que ces représentations optimistes font l’économie d’une réflexion sur les usages de ces technologies, et qu’elles font peu cas des expériences du passé.

En poussant l’analyse, on se rend compte que ces représentations sont liées à plusieurs utopies qui semblent avoir structuré ces discours technicistes. Par ailleurs, il apparaît que la thématique de la démocratisation culturelle est un projet de longue date qui ressurgirait dès l’apparition d’une nouvelle technique.

Au cours de cette analyse qui va être proposée, on discutera les présupposés gouvernementaux dans une perspective critique afin de rendre compte du décalage qui semble exister entre ces discours et la réalité du terrain. Autrement dit, il s’agit dans un premier temps de comprendre les facteurs qui ont structuré ces représentations dominantes dans le monde politique, à savoir les racines de ces utopies technicistes.  Dans un second temps, en recourant à divers travaux théoriques et empiriques sur les usages de ces technologies, nous montrerons comment les travaux scientifiques en sociologie des usages ruinent les présupposés gouvernementaux. Enfin, nous esquisserons un bilan sur les facteurs discriminants de ces TIC.

 

1.   De la cyberculture à la société de l’information

 

1.1. Généalogie des utopies technicistes

 

Outre-atlantique, il semble que les discours technicistes plongent  leurs racines dans l’imaginaire de la communauté scientifique [Flichy, 1999, p.80]. Mais en France, on peut faire l’hypothèse que les représentations technicistes puisent en partie leur source dans les missions que s’est attribué l’État en matière de démocratisation cultuelle.

 

Comme l’a montré Igor Babou [1998] dans un texte consacré aux discours d’accompagnement des nouveaux médias, si ces derniers constituent un phénomène récent pour le grand public, l’Internet en tant que dispositif technique existe depuis les années soixante et les principales caractéristiques sont conceptualisées dès 1945 aux États-Unis. L’auteur cite le célèbre article « As We May think »[1] du scientifique Vannevar Bush   dans lequel ce dernier énonce pour la première fois l’idée de l’hypertexte. Son projet comporte plusieurs utopies: Vannevar Bush remet en cause les systèmes d’organisation hiérarchique de l’information en usage dans la communauté scientifique qui ne correspond pas au fonctionnement du cerveau humain qui opère, lui, par associations  [Bush, 1945, cité par Babou, 1998]. De ce postulat, le scientifique imagine un dispositif  nommé  Memex, une bibliothèque  universelle interconnectée au sein d’un réseau qui mécaniserait  le rangement des données documentaires par association, sur la base d’une analogie avec le fonctionnement cérébral [Babou, 1998]. Ce dispositif  serait un grand réservoir documentaire permettant de réunir toutes sortes d’informations.

 

C’est néanmoins seulement au début des années soixante que se réalise le projet de Bush. Theodore Nelson invente alors le terme d’hypertexte à travers un projet qu’il baptise Xanadu. Ce projet poursuit les intentions de Bush, l’objectif étant de fournir à chacun « un écran à domicile  à partir duquel on pourra consulter toutes les bibliothèques hypertextes du monde » [Nelson, 1974, cité par Flichy, 1999, p. 108].

 

Si Vannevar Bush est à l’origine d’un projet utopique reposant notamment sur la technique et l’accès à l’information,  en 1948[2], un autre scientifique, Norbert Wiener, propose une utopie qui semble avoir exercé beaucoup d’influence sur les discours actuels: le fondateur de la cybernétique - cette « science du contrôle et des communications » [Wiener, cité par Breton 199, p.19] - pronostique en effet la naissance d’une « société de l’information » [Mattelart, 1999-2000]. Cette nouvelle théorie naît comme réponse aux traumatismes relatifs à la barbarie commise pendant la seconde guerre mondiale. La circulation de l’information et de la communication vont permettre de faire reculer l’entropie et le désordre qui apparaissent comme une menace pour le lien social. L’information, telle que se la représente N.Wiener, est alors la condition nécessaire de l’exercice de la démocratie [Mattelart, 1999-2000]. Ce scientifique semble être ce prophète qui va faire de la communication une utopie [Breton, 1995].

Ces rêves vont se poursuivre par quelques scientifiques et par tout un courant de la contre-culture de l’ordinateur aux États-Unis, héritier des mouvements des années soixante [Castells, 1998, p.400]. La contre-culture reposait sur une vision contestataire de la technologie, il s’agissait de la faire partager au plus grand nombre et de la mettre à la portée « du peuple » [Lévy, 1990, p.50].

 

Très vite, ce projet de l’utopie technicienne trouve écho en France : en 1948, Le Monde publie un article de Dominique Dubarle où ce dominicain offre une présentation de la cybernétique et de l’invention de l’ordinateur, anticipant les potentialités de cette technique : «  la machine à trier les renseignements […], couvrant la totalité des productions de l’esprit représentées dans les bibliothèques du monde » [Dubarle, 1948, cité par Breton, 1995, 1996].

Ces projets utopiques fondent ce qu’on appelle la cyberculture[3], dont l’élément cyber est d’ailleurs tiré du mot cybernétique.

En France, les années soixante sont marquées par des actions en faveur de la démocratisation culturelle dont l’échec semble patent[4], l’espoir se tournerait alors du côté des industries culturelles[5] et de l’utopie techniciste [Lefebvre, 1997]. Ces fortes attentes stimulées à l’égard de la technique se concrétisent par le célèbre rapport consacré à L’informatisation de la société  (1978) de Simon Nora et Alain Minc, exemplaire en ce qu’il illustre  l’émergence d’une idéologie techniciste qui va s’installer de manière durable dans le monde politique.

Les années quatre-vingt voient le paysage audiovisuel se transformer à travers l’essor de technologies comme le câble, le magnétoscope, le Minitel, innovations reçues par le gouvernement comme un pas décisif pour la démocratisation culturelle.

Aujourd’hui, c’est le multimédia et plus spécifiquement l’Internet qui suscitent l’enthousiasme dans le paysage politique : ces technologies signeraient définitivement l’entrée de la France dans la « société de l’information ». 

On retiendra cette réflexion de Serge Proulx et Michel Sénécal [1994], qui met l’accent sur l’enthousiasme qui a côtoyé chaque innovation technique:

 

Chaque génération technique d’objets ou de dispositifs médiatiques a, la plupart du temps, suscité de nouveaux espoirs quant au projet d’une plus grande démocratisation des moyens d’éducation ou de communication sociale. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant de constater que les diverses innovations techniques en matière de communication aient suscité de la part de leurs promoteurs, une quantité abondante de discours utopiques orientés avant tout vers un mythe de la technique perçue comme la condition nécessaire du progrès de la société [Proulx, 1992, p.8, cité par Proulx et Sénécal, 1994].

 

Cette présentation de la généalogie  relative à la naissance des utopies  de chaque côté de l’Atlantique est un peu elliptique mais trace les grandes lignes des projets technicistes, dont on peut supposer qu’ils ont donné corps aux visions optimistes sur les prouesses de la technique.

 

1.2. Les discours d’accompagnement sur les enjeux culturels des TIC

 

En France, si le lancement du Minitel constituait déjà un défi technologique national - expérience qui puise ses origines dans le rapport Nora-Minc - le contexte international joue un rôle moteur pour impulser le développement des autoroutes de l’information[6], dénommées plus volontiers aujourd’hui « technologies de l’information et de la communication » (TIC).

En 1992, le vice-président américain Al Gore fait de la construction d’un réseau d’autoroutes électroniques l’un des thèmes de la campagne présidentielle de Bill Clinton, projet exprimé  lors de son discours le 11 janvier 1994 à Los Angeles devant  l’Académie américaine des arts et des sciences de la télévision. Dès lors, la France va chercher à s’inspirer du modèle américain. Cela se traduit par le rapport Théry sur les « autoroutes de l’information » commandé par le Premier Ministre Édouard Balladur en 1994, rapport qui pousse la France à engager une politique ambitieuse en faveur des TIC. Le discours prononcé à Hourtin par le Premier ministre Lionel Jospin le 25 août 1997[7], puis le Programme d’action gouvernemental de janvier 1998[8] sont l’aboutissement - émerge dès lors une nouvelle vulgate : nous sommes membres de la société de l’information. Dans ce programme, l’accès au savoir et la démocratisation culturelle par le truchement des TIC constituent deux priorités. De par son caractère interactif, le multimédia ouvrirait de nouvelles possibilités : « grâce aux bases de données sur cédérom ou sur Internet, l’élève peut accéder de façon simple et interactive à des connaissances […] les produits multimédia peuvent toucher des élèves « fâchés » avec  certaines voies traditionnelles d’accès au savoir, en offrant de nouveaux modes d’apprentissage » [PAGSI, 1998, p.13-14]. Par ailleurs, le programme présente la démocratisation de la culture via la technologie comme une évidence : « Internet constitue un outil spectaculaire de démocratisation au patrimoine culturel de nos bibliothèques et de nos musées » [ibid., p. 22]. Il  est sans doute vain de rappeler que ces présupposés ont été repris par une myriade de discours, rapports et communiqués, il suffit de consulter le site du gouvernement consacré à la société de l’information[9] pour y relever les traces de ces discours, relayés par une certaine littérature médiatique, et par les promoteurs des technologies.

Néanmoins, il apparaît que ces discours apologétiques se rallient à la thèse du déterminisme technique qui raisonne en terme d’impact, reposant sur l’idée que la technique provoquerait unilatéralement le changement social [Proulx, 2000, p.1] - perspective qui consisterait à définir de facto la manière dont les individus utiliseraient ces technologies [Jouët, 1997, p. 293]. Lorsqu’on soutient que les TIC sont des vecteurs d’apprentissage du savoir et d’accès à la culture [Jospin, 1997, p.9], notamment pour « des élèves « fâchés » avec certaines voies traditionnelles d’accès au savoir » [PAGSI, 1998, p.14], il s’agit bien d’une conception déterministe de la technique. Pourtant, ce modèle ne résiste pas à l’analyse : cette représentation techniciste semble se heurter à des réalités sociales et économiques plus complexes. Les responsables politiques semblent partir du postulat qu’en élargissant l’accès à la culture via les technologies, ces offres culturelles sont susceptibles d’être consommées par tous, comme si l’usage de l’outil était en quelque sorte inscrit dans la machine, comme si l’usager n’avait aucune capacité d’action sur celle-ci [Vedel, 1994, p.24], et comme si les individus avaient les mêmes compétences. Non seulement, cette conception fait peu cas des usages de ces technologies, mais elle néglige surtout certains constats admis depuis longtemps en sociologie de la culture : les besoins culturels ne sont pas naturels mais relèvent d’une construction sociale.

Alors que le schème du déterminisme technique est relativisé par divers travaux [Vedel, 1994, p.24], et que ses tenants se font de plus en plus rares ou présentent des positions plus nuancées, les discours politiques dominants restent très fortement marqués par cette tendance, révélant ainsi la prégnance des mythes technologiques ancrés dans l’imaginaire social [Millerand, 1998a, p.6].

Les prescriptions issues des rapports gouvernementaux ne prennent pas assez en compte certains facteurs de discrimination comme les contraintes de temps, de compétence, d’accès aux équipements et aux usages qui diffèrent selon les groupes sociaux.

Il apparaît que les discours actuels dominants sur les TIC procèdent d’une rhétorique analogue aux médias audiovisuels des années quatre-vingt. Mais dans le cas des technologies multimédia dont l’Internet, les potentialités de ces technologies ouvrent des espérances encore plus utopiques, de par les prouesses culturelles qu’on leur prête. C’est ce présupposé qu’il convient de réviser, et ce en examinant les travaux scientifiques empiriques et théoriques relatifs à la sociologie des usages. Il n’est pas question dans ce texte de recenser de façon exhaustive les travaux scientifiques relatifs aux usages des TIC, sinon de se rapporter à plusieurs études de référence qui s’inscrivent dans l’orientation de ce texte.

 

Dans les documents gouvernementaux que nous avons consultés[10], nous n’avons relevé aucune référence à des travaux scientifiques, il n’y est question que de prescriptions, de mesures à mettre en œuvre pour rentrer dans la « société de l’information ». Sur le site gouvernemental relatif à la « société de l’information », les seules études qu’on puisse trouver sur les usagers de ces technologies sont des études quantitatives, en partie à la disposition de l’internaute qui peut cliquer sur les liens qui assurent la liaison entre le site gouvernemental et les organismes de sondage. L’internaute pourra malgré tout trouver quelques études qualitatives en ligne pilotées en partie par le Ministère de la Culture[11].

 

2.   Au-delà des discours : les usages

 

2.1. Les limites du schéma causal : l’offre ne rend pas compte des usages effectifs

 

A l’inverse de ces discours déterministes, on peut, à la lumière des travaux en sociologie des usages[12], avancer que les usagers disposent d’une autonomie et développent une logique qui leur est propre [Vedel, 1994, p.25].  Dans cette perspective, la sociologie des usages propose de ne pas raisonner en terme d’impact ou d’effet comme dans la perspective du déterminisme technologique au profit d’analyses sur ce que les usagers font des techniques[13]. Les recherches ont en effet démontré une inadéquation des usages prévus et des usages effectifs [Millerand, 1998b, p.3] c’est à dire que les individus s’appropriaient les outils à des fins qui n’étaient pas prévues.

Les technologies de l’information montrent de multiples exemples de ces écarts entre l’appropriation et l’usage proposé : il s’avère en effet que ces techniques ont pu faire l’objet de détournements ou de déplacements d’usage par rapport aux intentions des concepteurs ou fabricants [Vedel, 1994, p. 25]. Nous pouvons citer ici quelques exemples : le répondeur conçu pour joindre le destinataire et utilisé pour le filtrage, le phonographe conçu pour enregistrer les voix humaines qui s’est diffusé comme ancêtre du tourne disque et enfin l’exemple le plus célèbre du Minitel inventé comme terminal de consultation de services utilitaires et détourné au profit d’usages de rencontres interpersonnelles. C’est ce que Jacques Perriault [1989]  a appelé « la logique d’usage » qui suppose une négociation entre l’usager et la technique : « L’instrument connaît des détournements. On l’emploie pour un projet autre que le projet initial en lui conférant une autre fonction » [ibid., p. 208 ]. Nous pouvons dès lors nous référer à des études empiriques qui s’inscrivent dans les préoccupations gouvernementales. Ainsi, le Ministère de la Culture [1998b] a mis en place un atelier de réflexion afin de mettre en œuvre un programme d’observation des usages des services en ligne ; et ce dans un certain nombre de structures (lycée, école etc.) - ce programme devait contribuer à la mise en œuvre du programme d’action gouvernemental de janvier 1998. Plusieurs sites observés ont fourni des constats similaires quant à la question du détournement de la prescription d’usage et des usages effectivement observés, c’est néanmoins dans un site, le lycée d’Albi, que ce constat a pris la forme la plus visible. L’enquête réalisée dans le centre de documentation du lycée, lieux où les responsables se devaient d’encadrer les étudiants pour utiliser l’Internet à des fins informatives ou documentaires ont montré que les usagers s’assignaient d’autres buts. Ainsi, les conclusions ont montré que les usages initiaux étaient absorbés dans des usages hybrides comme la création d’un site Web, la correspondance scolaire, la formation etc. [ibid., p.12].

Mais si nombre de travaux empiriques et théoriques ont mis l’accent sur les détournements d’usages prescrits, ils le doivent certainement aux écrits de Michel de Certeau [1990]. Si ce penseur éclectique n’a pas travaillé spécifiquement sur les médias, son analyse concernant les « pratiques ordinaires », comme la lecture par exemple, peut être étendue aux technologies. Ainsi, son apport a été de remettre en question le caractère passif du consommateur pour dévoiler ses « manières de faire, ruses et tactiques » dans la perspective du braconnage.

 

La conception du déterminisme technique, qui va souvent de pair avec un optimisme technologique [Flichy, 1999, p.79] - dominante dans les discours d’accompagnement gouvernementaux - fait fi des détournements potentiels de la technique. Il importe néanmoins de ne pas non plus céder au schéma tout aussi réducteur du déterminisme social qui fait l’impasse sur la place de l’objet technique [Jouët, 1997, p.293] pour ne considérer que les structures sociales qui conditionneraient les pratiques liées aux TIC.

 

En réfutant le paradigme techniciste, les recherches sur les usages s’accordent pour rompre avec le modèle de la consommation [Jouët, 2000, p.502]. La sociologie des usages montre que  le modèle linéaire incarné par les personnels politiques, modèle qui consisterait à se centrer sur l’offre en envisageant l’usager comme un simple consommateur de cette offre ne fonctionne pas. Il ne s’agit pas de taire le poids de l’offre puisque l’usager voit ses possibilités limitées par l’offre qui lui est proposée. Cependant, les travaux en sociologie des usages invitent à se pencher sur les tactiques d’appropriation déployées par les usagers dans la construction de modèles d’usages spécifiques [Jouët, 2000, p. 502].

 

2.2. L’accès au savoir

 

2.2.1. Hypertexte et interactivité

 

Les discours sur l’interactivité contribuent également à faire le lit du déterminisme technique. Parce qu’elles sont interactives, on prête à ces technologies multimédia des vertus éducatives et culturelles, la corrélation entre le multimédia et le savoir étant alors présenté comme une évidence.

On peut relever les traces des idées et théories qui circulent sur les atouts que recouvriraient l’hypertexte et l’interactivité en partie dans certains concepts fondateurs de la cyberculture.  On repère en effet l’influence de Vannevar Bush et plus récemment, le développement de la psychologie cognitive dans les années quatre-vingt et de nombreux travaux en sciences de l’éducation [Babou, 1998, p.5-6]. En effet, pour les théoriciens de la psychologie cognitive, la pratique du lien hypertexte est bénéfique pour l’apprentissage puisqu’elle correspond mieux à la structure du cerveau, qui fonctionnerait naturellement, de façon associative. En effet, la diversité de parcours proposés par la technique hypertextuelle privilégie l’associatif - contrairement aux médias traditionnels prisonniers de la linéarité. Dans cette perspective, certains considèrent que ces technologies hypertextuelles susciteraient de nouveaux apports cognitifs.

 

A chaque innovation technologique, on voit surgir les mêmes postulats reposant sur une corrélation entre la technique et l’apprentissage, qui seraient, nous pouvons l’avancer, liés à l’effet de nouveauté. Pourtant, ces discours semblent faire peu cas des expériences du passé qui ont montré que la modernité technologique ne s’accompagne pas automatiquement d’une plus grande efficacité pédagogique [Jacquinot, 1997, p. 159]. Ce discours avait été tenu à l’égard du média télévisé, alors que les expériences ont montré que la télévision éducative n’avait jamais bien fonctionné en France[14] : les discours raisonnaient trop par rapport à l’appareil technique au détriment des représentations symboliques intégrées par chacun, permettant de décoder un contenu.

Pour les technologies comme l’ordinateur, l’Internet ou encore le cédérom, il semble que la notion d’interactivité reste au centre de l’usage de ces technologies, dans la mesure où elles exigent la participation active de l’individu pour que  le système fonctionne. La figure de l’usager actif est donc le nouveau modèle qui se dégage de ces TIC.

A elle seule, l’interactivité, notion polysémique[15], renvoie à tout un imaginaire sur la technique : on associera volontiers l’interactivité à des valeurs de liberté, d’autonomie. On sera tenté aussi de confondre l’interactivité et l’interaction[16].

L’interactivité  est ainsi parfois considérée comme une garantie dans le processus d’apprentissage et d’acquisition de connaissances. Selon certains analystes, l’interactivité, qui renvoie à une situation de dialogue homme-machine peut favoriser l’apprentissage[17] car cette démarche pédagogique est centrée sur l’activité du sujet et le développement de ses  capacités d’expression ; cette position est notamment incarnée par Pierre Lévy [1990, p.45]  qui s’inspire notamment des travaux de la psychologie cognitive pour fonder ses propos:

 

L’hypertexte ou le multimédia interactif se prêtent particulièrement aux usages éducatifs. […] Plus activement une personne participe à l’acquisition d’un savoir, mieux elle intègre et retient ce qu’elle a appris. Or, le multimédia interactif, grâce à sa dimension réticulaire et non linéaire, favorise une attitude exploratoire, voire ludique, face au matériau à assimiler. C’est donc un instrument bien adapté à une pédagogie active.

 

Mais pour Pierre Lévy, ces technologies seraient à la base d’un nouveau concept comme « l’intelligence collective »: « Le cyberespace  manifeste des propriétés neuves, qui en font un instrument de coordination non hiérarchique, de mise en synergie rapide des intelligences, d’échange de connaissances et de navigation dans les savoirs » [Lévy, 1996, p.36]. L’ « intelligence collective » est basée sur le partage des savoirs : « ces technologies intellectuelles […] peuvent être partagées entre un grand nombre d’individus et accroissent donc le potentiel d’intelligence collective des groupes humains » [Lévy, 1997, p.188].

           

Ces théories apparaissent sans doute séduisantes mais il semble qu’elles prennent plus appui sur les potentialités ouvertes par la technique que sur l’observation d’usages effectifs [Chambat, 1994, p.251]. Par ailleurs, il apparaît que les analyses que nous livre Pierre Lévy dans ses divers écrits témoignent d’une forme de déterminisme technologique, même si celui-ci cherche à s’en défendre[18]. La technique y est en effet abordée du point de vue de ses incidences sur les structures mentales et les modes de pensée [Jouët, 1992, p.374, cité par Millerand, 1998a, p.7]. Nous pouvons dès lors nous interroger pour savoir si ce sont ces théories qui retiennent l’attention des acteurs politiques pour fonder leur discours[19].

 

Si nous réfutons le paradigme techniciste, il serait toutefois vain de nier que l’utilisation de la technique n’exerce aucune influence sur les fonctions cognitives puisqu’il est largement reconnu que l’usage des machines interactives passe par des habiletés pratiques, par une familiarisation avec les modes opératoires de la technique et favorise des acquisitions cognitives, comme le raisonnement inductif [Jouët, Pasquier, 1999, p.29].

Il n’en reste pas moins que les discours qui considèrent l’hypertexte et l’interactivité comme des gages d’efficacité pour un meilleur apprentissage rencontrent de nombreuses limites.

 

2.2.2. Les limites du multimédia pour les processus d’apprentissage et d’accès au savoir

 

Comme l’a souligné Igor Babou [1998], cette conception schématique du fonctionnement cérébral - selon laquelle le cerveau humain opérerait par associations - ne semble pas constituer un principe insuffisant puisque nombre de scientifiques avouent leurs limites de compréhension du cerveau [ibid.]. De leur côté, les courants de recherche en psychologie cognitive commencent à remettre en cause cette analogie [ibid.] compte tenu de la complexité de l’activité cognitive.

 

Les études ont en effet montré qu’il existe un décalage manifeste entre les attentes suscitées par les systèmes hypertextes et les résultats objectifs des expérimentations [Rouet, 1997, p.172][20]. Certaines recherches récentes sont venues montrer que bien souvent, les hypertextes représentent de vrais obstacles pour des débutants, du moins dès qu’on dépasse le stade d’un butinage ludique de l’information. La logique hypertextuelle impliquerait plutôt des difficultés de repérage[21]. Par exemple, dans son enquête en 1996 sur les usages de l’Internet, Dominique Boullier parle de ces surfers ordinaires - ces internautes grand public  qui ne disposent pas du minimum de savoir-faire technique requis en l’absence de toute configuration standard - ils sont dès lors incapables d’effectuer des interrogations précises :

 

[…] il en résulte un désarroi devant le déluge des références qui toutes se valent. Ce nivellement, cette perte de hiérarchie n’est supportable que par l’utilisateur qui possède à la fois les repères cognitifs pour spécifier ce qu’il veut et produire la cartographie de cet univers foisonnant, et les repères techniques pour savoir mener sa requête, structurer son parcours et traiter ces informations » [Boullier, Charlier, 1997, p. 166].

 

L’auteur évoque alors la nécessité d’une culture informatique pour un usage un peu sophistiqué. Cette question de la compétence technique n’est pas nouvelle mais avait déjà été observée pour l’utilisation de la technique et de la micro-informatique à domicile. Josiane Jouët parlait ainsi d’une acculturation à la technique et de l’acquisition d’un savoir-faire opératoire[22]. Serge Proulx, quant à lui propose l’idée d’une culture numérique, entendue au sens d’un ensemble d’habiletés à maîtriser l’intelligence numérique et les protocoles informatiques pour pouvoir, par exemple, circuler efficacement dans le « cyberespace» [Proulx, 2000, p.4].

 

Sur l’utilisation du cédérom, il y a lieu de se reporter à une étude réalisée exclusivement sur les usages des cédéroms culturels liés aux musées [Davallon et al., 1997] qui confirme les difficultés que requiert l’utilisation de la technique. L’enquête  a ainsi montré que les primo-utilisateurs - à savoir ceux qui utilisaient ces cédéroms pour la première fois - bien que séduits par la dimension interactive que permet le cédérom, éprouvaient quelque difficulté sur le plan technique du point de vue de la navigation et de l’apprentissage que requiert le cédérom pour son utilisation [ibid.].

 

La réalité du terrain conduit à remettre en question le postulat selon lequel on peut accéder « de façon simple et interactive à des connaissances » [PAGSI,  1998, p. 13-14].

Plusieurs études empiriques tendent à infirmer ces présupposés et convergent dans le même sens: rompant avec la logique de linéarité, les technologies interactives peuvent impliquer une lecture de « butinage », sur le mode de la consultation[23]. Il ressort ainsi des enquêtes que le multimédia comme alternative aux modes traditionnels d’apprentissage serait davantage un complément qu’un substitut[24].

La question de la pratique, de la maîtrise et de l’appropriation de ces technologies s’inscrit dans un ensemble complexe de pratiques sociales.

 

3.   Technologies culturelles[25] et spirale de l’exclusion

 

La diffusion et la pratique de ces technologies semblent se heurter à plusieurs obstacles. Soucieux de ne pas accroître les inégalités sociales, le programme gouvernemental a mis en place ce qu’il a nommé des Espaces Culture Multimédia[26], a numérisé les fonds culturels pour faciliter l’accès au patrimoine et prévoyait d’équiper et de connecter tous les établissements d’enseignement d’ici l’an 2000[27] [PAGSI, 1998] - dans le but que chaque citoyen puisse bénéficier de ces technologies culturelles.

 

Avant de faire référence à quelques travaux empiriques, rappelons ce que nous a enseigné  la sociologie de la culture à savoir que l’éducation et la culture étaient des phénomènes sociaux. Déjà, de par les enquêtes sur les publics des musées [Bourdieu et Darbel, 1969] puis plus tard, avec les travaux des sociologues de la culture, la thèse de l’inégalité naturelle des besoins culturels est devenue un axiome.

Plongeons-nous dès lors dans la littérature empirique. Une enquête[28] sur les usages de l’Internet qui a eu lieu à la BPI[29] s’est interrogée sur la question de la démocratisation culturelle et de l’accès au savoir pour ceux qui n’y ont pas accès par les canaux classiques. Les résultats ont montré que l’Internet était perçu comme « un service public supplémentaire et non comme une stimulation auprès des non-lecteurs pour se rendre à la bibliothèque »[30].Ne connaissant pas l’origine sociale des personnes, l’auteur n’a pas parlé de « reproduction sociale », mais l’enquête a révélé que l’accès à l’Internet dans ce lieu public profitait essentiellement aux habitués de la bibliothèque, donc aux personnes qui a priori, bénéficiaient d’un certain capital culturel. En tout cas, cette enquête infirme le discours qui consiste à faire de la diffusion de l’Internet dans les bibliothèques « une diffusion plus large et plus égalitaire de l’accès au savoir et à la culture » [PAGSI, 1998, p. 24]. Créés par le gouvernement pour réduire les inégalités d’accès aux TIC, les Espaces Culture Multimédia semblent profiter aux personnes les mieux pourvues culturellement.

 

Ce constat réitère manifestement la problématique de la réception culturelle, or de ce point de vue, de nombreux travaux tant qualitatifs que quantitatifs ont montré les limites des tentatives entreprises pour l’accès de tout un chacun au savoir, et donc le fossé entre les discours emphatiques sur la question de la démocratisation de la culture et la réalité[31]. Les TIC pourraient renforcer cette tendance dans la mesure où celles-ci, pour faire l’objet d’un usage culturel nécessitent un certain « capital culturel »[32] mais aussi une compétence technique comme nous l’avons déjà mentionné; elles nécessitent enfin un « capital économique » pour une utilisation dans la sphère domestique. In fine, il apparaît effectivement aujourd’hui que les TIC seraient des instruments anti-démocratiques créant dès lors une spirale de l’exclusion, c’est notamment le constat qu’ont pu observer Josiane Jouët et Dominique Pasquier d’après une enquête nationale menée auprès des 6-17 ans [1999][33]. Il ressort en effet de cette étude que les classes sociales défavorisées sont les laissés pour compte de cette société de l’information car l’utilisation des TIC marque un vrai clivage social[34] . D’une part, les catégories défavorisées restent sous équipées en informatique et en nouveaux médias, d’autre part, la pratique de l’ordinateur est majoritairement utilisée par les jeunes de catégories favorisées. On relève enfin que l’ordinateur a du mal à s’intégrer dans la vie des familles populaires : il y a un grand décalage entre les parents qui attendent de l’ordinateur qu’il participe à la réussite de l’enfant et la réalité des pratiques qui montre que l’ordinateur est principalement utilisé pour les jeux (comme c’est le cas dans tous les milieux sociaux).

Au-delà des contraintes économiques appelées à s’amenuiser en raison de la baisse des coûts des équipements et des services d’accès à l’Internet, des contraintes techniques et sociales subsistent. Toutefois, on peut se demander si la marchandisation de certains contenus et services ne risque pas d’accroître la fracture sociale - on peut parier que les dures lois du commerce et de la publicité vont opérer sur le réseau. 

 

Conçu originellement pour protéger les données informatiques militaires, utilisé ensuite par les universitaires qui ont façonné ce réseau informatique comme canal d’échange et de coopération sur un principe de circulation libre et gratuite [Flichy, 1997, 1999], le réseau est aujourd’hui envahi par le monde marchand à tel point qu’il est prévu que ce secteur dominera les utilisations de l’Internet dans le monde[35]. La cyberculture semble dévoyée de son projet initial. L’Internet d’aujourd’hui n’est plus ce réseau imaginé par divers scientifiques, par les mouvements de la contre-culture américaine, c’est à dire un espace où les rapports entre les individus sont égalitaires et coopératifs, où l’information est gratuite [Flichy, 1999, p.114].

Ce média s’est ouvert désormais au grand public mais les usages témoignent du fossé qui existe entre les discours gouvernementaux et la réalité du terrain. Les premiers bilans des usages des internautes montrent que la visée culturelle du réseau, telle qu’elle est voulue par les thuriféraires des TIC semble peu répandue[36]. L’Internet est encore l’apanage de quelques-uns uns[37], les technologies culturelles seraient plutôt génératrices d’exclusion.

 

Conclusion

 

La réalité apparaît plus complexe que ces discours prophétiques qui diluent toute possibilité de compréhension des usages. C’est pourquoi la sociologie des usages ne peut épouser la cause des thuriféraires des TIC car elle propose de comprendre les phénomènes et non de sacrifier à l’utopisme. On rappellera à propos cette réflexion de Josiane Jouët [2000, p.514]:

 

La sociologie des usages s’inscrit en marge des discours apologétiques ou apocalyptiques sur la société de l’information, car elle se fonde sur l’observation des pratiques « vécues » et, à ce titre, elle nous livre une vision désenchantée des objets de communication. Son projet est de débanaliser le monde des usages pour le comprendre, de sortir l’usage de son évidence première et de le distinguer comme objet d’analyse qui rende compte de la complexité des phénomènes sociaux qu’il mobilise.

 

On l’aura compris, l’idée de ce texte était de montrer comment les discours gouvernementaux en matière de technologies culturelles ne résistaient pas à l’analyse. En s’appuyant sur une littérature scientifique, tant théorique qu’empirique, principalement du côté de la sociologie des usages, on voit que ces études ruinent les discours des responsables politiques. Non seulement, plusieurs études citées dans ce texte nuancent la perspective de démocratisation culturelle par le truchement des TIC et les expériences tendent à réviser les effets bénéfiques de ces technologiques pour l’apprentissage et la connaissance.

Il apparaît que, a priori,  la non recevabilité des travaux sur les usages des TIC par le monde politique n’est pas due à leur de degré de scientificité, sinon à leur vision désenchantée du monde qui  n’appartiendrait pas à l’univers politique.

 

Enfin, il convient désormais de se demander si les clivages sociaux qui caractérisent ces TIC vont être appelés à s’amenuiser, puisqu’ aujourd’hui plusieurs catégories sociales comme les femmes, les classes défavorisées et les personnes âgées[38] sont de fait exclues de cette mutation technologique. En attendant, le scénario qui semble se  dessiner fait apparaître une « société de l’information » à plusieurs vitesses.

 

 

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[1] Voir : BUSH, V. : As We May Think. In :  The Atlantic monthly, July 1945. Disponible à l’adresse : <http://www.w3.org/History/1945/vbush>. Voir aussi bibliographie, particulièrement BABOU, I. [1998], LEVY, P. [1990] et FLICHY, P. [1999].

[2] C’est à cette date que N. Wiener publie Cybernetics mais la proposition de sa théorie émerge dès les années quarante. Sur ce point, voir bibliographie : Breton, Ph.  [1995] et Breton, Ph., Proulx, S. [1989, 1993, 1996].

[3] Pour les pionniers le l’Internet, la cyberculture correspond donc à une véritable idéologie : le partage de l’information, l’accès de tout un chacun à la technologie etc. Aujourd’hui, la cyberculture désigne l’ensemble des connaissances et des usages communs aux utilisateurs d’ordinateurs et de produits multimédia. Pierre Lévy [1997] donne dans son ouvrage une acception plus large : l’expression y désigne l’ensemble des techniques (matérielles et intellectuelles), des pratiques, des attitudes, des modes de pensée et des valeurs qui se développent conjointement à la croissance du cyberespace » [ibid., p.17].

[4] La volonté de démocratisation culturelle est surtout marquée par la création d’un ministère des Affaires Culturelles en 1959, sous l’ère Malraux.  L’action en faveur de la démocratisation culturelle visait à permettre aux membres des classes sociales qui en sont de fait exclues d’accéder aux œuvres de la culture. Les politiques culturelles se sont trouvées en porte-à-faux : il résultait en effet un accroissement du public et des pratiques mais qui tenait davantage à la modification de la formation intellectuelle de la population qu’à une fréquentation accrue des catégories les plus modestes. Sur ce point, voir : Hermès n° 20, 1996 et Donnat, O. : Les Français et la culture. Paris, La Découverte, 1994.

[5] Sur la question, voir notamment Lefebvre, A. [1996], l’auteur s’interroge dans ce texte sur la relation entre l’échec des actions culturelles et les utopies technicistes.

[6] L’expression « autoroutes de l’information » semble avoir aujourd’hui été délaissée, tant par les acteurs politiques, médiatiques que scientifiques au profit des expressions  « technologies de l’information et de la communication (TIC) », « nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Toutefois, cette dernière est moins usitée, du reste par les analystes dans la mesure où ces technologies ne sont plus vraiment nouvelles. Sur ce point, voir par exemple : Winkin, Y. :  Trois mots pour tout dire. Analyse critique de l’expression « nouvelles technologies de la communication ». In : Hermès N°13-14, 351-358. CNRS Editions, 1994. Nous utilisons dans ce texte les terminologies « technologie de l’information et de la communication » et « multimédia » qui font référence ici principalement à l’Internet et au cédérom.

[7] Disponible à l’adresse : http://www.premier-ministre.gouv.fr/fr/p.cfm?ref=5519

[8] Disponible à l’adresse : http://www.internet.gouv.fr/francais/textesref/pagsi.htm

[9] Voir : www.internet.gouv.fr

[10] Voir : www.internet.gouv.fr

[11] Voir bibliographie : Ministère de la Culture [1998a, 1998b], on peut retrouver ces études en ligne.

[12] La « sociologie des usages » n’est pas un courant de recherche en tant que tel. Elle représente surtout un ensemble de recherches aux préoccupations communes, qui s’inscrivent dans le champ des usages sociaux des médias et des TIC, se situant au croisement de plusieurs disciplines : la sociologie de la technique, la sociologie de la communication et la sociologie des modes de vie [Chambat, 1994, p.254].

[13] Ce modèle d’analyse puise ses origines théoriques dans le courant de recherche empirique anglo-saxon des « uses and gratifications » qui renverse le paradigme des effets. Cette approche s’est proposée d’inverser le questionnement en ne s’interrogeant plus sur « ce que les médias font aux gens » mais plutôt sur « ce que les gens font des médias ».

[14] Patrice Fournier de la « Cinquième » expliquait notamment que les tentatives en matière télévisuelle dans l’enseignement à distance ont présenté des limites, car le média ne s’y prête pas. Source orale : discours au Centre National d’Enseignement à Distance à Poitiers, le 25 mars 1999.

[15] Cette notion est souvent définie différemment d’un auteur à l’autre. Sur ce flou conceptuel, voir notamment Proulx, S. et Sénécal, M. [1994]. Selon le Petit Robert (2000), l’interactivité est « une activité de dialogue entre l’utilisateur d’un système informatique et la machine, par l’écran ». Pour les définitions techniques, voir : Commissariat Général de la langue française. 1989. Lexique usuel des Technologies de l’Information et de la communication, Paris : DAICADIF. Voir aussi : Réseaux n°33, Interactivité, CNET, Issy-les-Moulineaux, janvier 1989.

[16] Voir bibliographie : Proulx et Sénécal [1994].

[17] Sur la question des travaux relatifs au multimédia et l’apprentissage, voir notamment : Enseignement, formation et nouvelles technologies. In : Dossiers de l’audiovisuel, La Documentation Française, sept.-oct. 1997.

[18] Dans son ouvrage « Les technologies de l’intelligence » où Pierre Lévy aborde le rôle des technologies informationnelles dans la constitution des cultures et l’intelligence des groupes – l’auteur propose « d’utiliser les travaux de la psychologie cognitive  et de l’histoire des procédés d’inscription pour analyser précisément l’articulation entre genres de connaissances et technologies intellectuelles » puis ajoute « cela ne nous conduira nullement à une version quelconque du déterminisme technologique, mais à l’idée que des techniques d’enregistrement et de traitement des représentations rendent possibles ou conditionnent certaines évolutions culturelles tout en laissant une grande marge d’initiative et d’interprétation aux protagonistes de l’histoire » [Lévy, 1990, p. 10-11].

[19] Pierre Lévy est par exemple l’auteur  du rapport au Conseil de l’Europe sur la « cyberculture » [1997].

[20] Voir également : Rouet, J.F. : Apprendre à lire un hypertexte : une étude expérimentale. In : Cahiers de linguistique sociale, 21, 1992, p.81-92.

[21] Dans le cadre d’un mémoire de DEA, nous avons réalisé une enquête sur les usages de l’Internet et du cédérom et plusieurs enquêtés ont mentionné la difficulté à se repérer sur le Web en raison de la structure hypertextuelle.

[22] Voir : Jouët, J. :  Les Technologies de l’Information et de la communication du quotidien. In : Cinémaction n°63, mars 1992 et L’écran apprivoisé. Télématique et Informatique à domicile. CNET, Collection Réseaux, 1987.

[23] Voir : Ministère de la Culture et de la Communication : Les usages du multimédia interactif dans les lieux culturels. Bibliographie et synthèse documentaire, 1998a, p.15-17.

[24] Sur ce point, voir : Ministère de la Culture et de la Communication : Les usages du multimédia interactif dans les lieux culturels. Bibliographie et synthèse documentaire, 1998a. Jocelyn Pierre et Virginie Guilloux répertorient dans ce volume un nombre important d’études sur les usages du multimédia et proposent en outre une synthèse sur quelques points.

[25] Nous reprenons ici l’expression d’Alain Lefebvre dans son texte « Technologies culturelles et rhétorique de la démocratisation » (Hermès n°20, 1996), l’auteur entendant par cette expression les technologies qui ont la possibilité de véhiculer des contenus culturels. Nous reprenons l’expression telle qu’elle a été  utilisée par l’auteur.

[26] Il s’agit d’espaces avec des postes multimédia qui ont été créés à l’intérieur d’organismes comme les bibliothèques, les médiathèques, les structures culturelles publiques.

[27] A ce jour, seulement 65% des collèges et 35% des écoles primaires sont connectés (voir : www.premier-ministre.gouv.fr/fr/p.cfm?ref=14078&d=1)

[28] Chazaud-Tissot, A.S. : Des discours aux usages, parcours d’Internet à la BPI, 1996, p.33-39, cité par Ministère de la Culture et de la Communication, « Les usages du multimédia interactif dans les lieux culturels », 1998a.

[29] Bibliothèque Publique d’Information  (Centre Georges Pompidou).

[30] Voir : Ministère de la culture [ 1998a, p.37].

[31] Nous pourrions citer ici de nombreux exemples : l’enquête de Bourdieu et Darbel sur les musées [1969]; la célèbre émission Sesame Street, diffusée dans les années soixante-dix aux Etats-Unis, destinée à des enfants de milieu défavorisé et qui a in fine, bénéficié aux enfants culturellement les mieux pourvus ; la création de la chaîne « Arte » et de  la « Cinquième » qui avaient suscité un engouement chez le gouvernement, pensant qu’elles favoriseraient la démocratisation du savoir alors que tant l’audience que la composante sociale ruinent ces discours.

[32] Par « capital culturel », nous entendons ce concept tel qu’il a été mis en lumière par Pierre Bourdieu. Le capital culturel a été conçu pour rendre compte de l’inégale performance des enfants issus des différentes classes sociales – il désigne ici l’ensemble des dispositions durables incorporées, acquises autour de la socialisation.

[33] Précisons que l’enquête a été réalisée d’avril à juin 1997, nous pouvons dès lors supposer que la situation a évolué, du moins en terme quantitatifs à savoir en terme d’équipement des foyers et d’accès à l’Internet. Toutefois, nous pouvons supposer que les tendances observées du point de vue qualitatif ont encore valeur aujourd’hui. Mais cette étude, réalisée avant le lancement du plan gouvernemental ne prend donc pas en compte les mesures déployées par le gouvernement tant en ce qui concerne l’équipement en ordinateurs et la connexion à l’Internet à l’école que la création d’espaces multimédia. L’enquête révèle que cette classe d’âge (6-17 ans) a de fortes attentes (69 %) pour que l’école les initie davantage à l’informatique. Les enfants issus de catégories défavorisées manifestent une attente sensiblement supérieure de l’institution scolaire par rapport aux enfants très favorisés. Une nouvelle enquête serait nécessaire afin de vérifier si l’initiation à l’informatique dans les établissements scolaires correspond en effet aux attentes de ces enfants. Nous précisons que cette étude concerne uniquement les utilisations et l’équipement des technologies (téléphone, télévision, ordinateur, Internet, cédéroms, radio etc.) dans la sphère domestique. Les éventuelles utilisations de ces technologies dans un autre cadre ont été prises en compte subsidiairement, c’est à dire lorsque ces jeunes déclarent utiliser ces technologies chez des amis par exemple.

[34] Si l’équipement et l’utilisation des TIC marquent un clivage social, ce n’est pas le cas pour les équipements audiovisuels (télévision, magnétoscope, radio) qui ont une pénétration homogène. En revanche, les clivages s’opèrent ici dans l’utilisation faite de ces médias. A titre d’exemple, le volume d’écoute de la télévision est supérieur par les enfants de milieu défavorisé et dans la hiérarchie de préférences télévisuelles, les enfants des catégories les plus favorisées se distinguent en ce qu’ils accordent une place importante aux magazines d’information ou culturels.

[35] Pour la part de la distribution Internet dans le monde en l’an 2000, une source OCDE estimait par exemple cette part à 60% pour les transactions boursières des particuliers contre 5% pour l’éducation [Premier Ministre, 1999, p.45].

[36] Sur ce point, voir l’étude Médiangles/Conseil supérieur de l’audiovisuel de novembre 1999 :  Les Français et Internet. Disponible en partie à l’adresse suivante : www.csa.fr/html/etude.htm

[37] Il faut relativiser les chiffres statistiques diffusés par les instituts de sondage, repris par les médias et pouvoirs publics. En effet, l’institut Mediamétrie recense 8 468 000 internautes de 15 ans et plus au 4ème trimestre 2000 soit 17,8% de pénétration dans la population française. Mais la définition de l’internaute est large (la plupart des instituts de sondage semblent d’ailleurs s’accorder sur cette définition) : l’institut définit comme internaute tout individu s’étant connecté à l’Internet au moins une fois au cours des douze derniers mois. Selon la « 24 000 multimédia » de Médiamétrie, 13 % des foyers (24 180 000 foyers) disposent d’un accès à l’Internet. Voir :< www.mediametrie.fr>.

[38] Selon l’étude « Médiangles » de 1999, il y aurait 34% d’internautes femmes, les classes défavorisées représenteraient 16% des internautes. Voir : <www.csa.fr/html/etude.htm>