Le processus d’appropriation sociale de l’Internet en
formation :
le cas d’attac
par Éric GEORGE (george.eric@uqam.ca)
École Normale Supérieure de Lyon et Université du
Québec à Montréal
L’analyse
effectuée dans le cadre de notre thèse de doctorat[1]
nous a amené à conclure que parmi les organisations étudiées[2],
c’est au sein de l’association pour une taxation des transactions financières
pour l’aide aux citoyens (attac)
que les différents services de l’Internet ont été le plus mobilisés en vue de
la constitution d’un “ espace public électronique ” — pour
reprendre la terminologie employée par l’association — que c’est au
sein et autour de cette association que les usages de l’Internet ont été le
plus considérables et le plus diversifiés. Ci-dessous, nous proposons de mettre
l’accent sur les éléments d’analyse suivants qui caractérisent le processus
d’appropriation sociale en cours depuis trois ans :
(1)
la place croissante d’un militantisme pour l’Internet, à la fois de la part de
quelques personnes de la direction et de membres des groupes locaux, opposé à
de considérables résistances, du moins au départ ;
(2)
le développement d’une pensée critique par rapport à l’Internet avec une
intégration partielle des propos des “ contre ” dans le discours des
partisans de l’Internet en tant qu’outil de mobilisation ;
(3)
un remodelage, du moins dans une certaine mesure, de l’organisation de
l’association,[3].
Précisions d’ordre théorique et méthodologique
Pour mener à bien nos recherches, nous nous sommes
intéressé à une partie des travaux qui
s’inscrivent dans le champ des usages sociaux des médias et des techniques de
l’information et de la communication. Alors
que l’on distingue généralement trois approches principales : la
diffusion, l’innovation et l’appropriation si nous reprenons le découpage de
Pierre Chambat (1994), c’est l’approche dite de l’appropriation qui s’intéresse
à l’introduction des tic dans la
vie sociale qui a retenu notre attention. Ici, il s’agit d’étudier les
utilisations, les usages, les pratiques des dispositifs techniques
communicationnels. À ce sujet, Josiane Jouët effectue une distinction entre les
concepts d’“ usage ”, d’“ utilisation ” et de
“ pratique ”. “ L’usage est (...) plus restrictif et renvoie à
la simple utilisation tandis que la pratique est une notion plus élaborée qui
recouvre non seulement l’emploi des techniques (l’usage) mais les
comportements, les attitudes et les représentations des individus qui se
rapportent directement ou indirectement à l’outil ” (1993, p. 371). Toutefois, lorsque l’adjectif “ sociaux ” est
collé à “ usages ” pour former “ usages sociaux ”, on
retrouve une définition proche de celle de “ pratique ” de Josiane
Jouët. Ainsi, Jean-Guy Lacroix estime que nous pouvons parler d’usages sociaux
à partir du moment où “ des modes d’utilisation se manifestant avec
suffisamment de récurrence et sous la forme d’habitudes suffisamment intégrées
dans la quotidienneté pour s’insérer et s’imposer dans l’éventail des pratiques
culturelles préexistantes, se reproduire et éventuellement résister en tant que
pratiques spécifiques à d’autres pratiques concurrentes ou connexes ”
(1994, p.147).
Dans le cadre de ce texte, nous allons surtout retenir le concept
d’“ appropriation ”, Anne-Marie Laulan signale que celui-ci remonte
en sciences sociales à la pensée marxiste et plus précisément à la théorie de
l’exploitation et de l’aliénation, l’appropriation des profits caractérisant
l’extorsion de la plus-value du travail ouvrier qui en dépossède les
producteurs (1985, p.144). Elle mentionne par ailleurs qu’en psychologie,
l’appropriation désigne “ l’action d’un sujet qui ramène quelque chose à
soi, l’intégration d’un "objet" dans le vécu d’un individu ou d’un
groupe ”, alors qu’en sciences de la communication, et en particulier dans
le champ des recherches sur les médias et les technologies, la notion renvoie à
plusieurs dimensions : “ un groupe, une population, s’approprient un
système de communication donné dans la mesure où ils s’en constituent les
usagers en en acquérant les clés d’accès (techniques, économiques, culturelles,
etc.) et dans la mesure où ils mettent en œuvre le système au service de leurs
propres objectifs ” (ibid., p.146). De son côté, Serge Proulx distingue
démarche individuelle et démarche collective au sujet de l’appropriation.
La démarche individuelle
d’appropriation [est] centrée sur l’acquisition individuelle de connaissances
et de compétences : il s’agit de la manière par laquelle un individu
acquiert, maîtrise, transforme ou traduit les codes, les protocoles, les
savoirs et les savoir-faire nécessaires pour transiger "correctement"
avec les ordinateurs qui l’entourent dans son environnement (1988, p. 159).
La
démarche collective renvoie à des “ stratégies collectives d’appropriation
sociale ” formulées et réalisées par des acteurs sociaux, qui peuvent
viser, soit un groupe ou une catégorie sociale, soit la société dans son
entier. Serge Proulx insiste ici sur la dimension sociale et politique du
phénomène de l’appropriation des nouveaux savoirs et des nouveaux outils. Selon
lui, on ne peut parler d’appropriation “ sociale et collective des
connaissances informatiques par un groupe ou une catégorie sociale ” qu’à
partir du moment où “ la mise en œuvre des nouveaux outils et des
nouveaux savoirs contribue à la transformation du mode de gestion des
connaissances propres au groupe ou à la catégorie sociale qui s’approprie
l’outil ” (ibid., p. 14).
Quant
à notre méthodologie de recherche au sujet d’attac,
elle a reposé à la fois sur : (1) des observations distanciées (étude du
site international http://www.attac.org ou http://attac.org et des échanges de
la liste de discussion francophone “ attac-talk ”
notamment au sujet de l’ami), (2)
l’analyse des réponses à des questionnaires envoyés par courriel à 50
abonnés-es d’“ attac-talk ”,
(3) des rencontres et des échanges par courriel avec le responsable du site et
des listes d’attac, (4) quelques
visites au siège international et français d’attac
à Paris qui ont été l’occasion de discussions informelles, (5) la participation
à plusieurs réunions de travail d’attac
Québec à Montréal, alors que celle-ci était en formation, (6) la lecture d’un
grand nombre de documents publiés par attac
(livres, articles, tracts, statuts, etc.).
Militantisme et résistance
vis-à-vis de l’Internet au sein de l’association
Rappelons
tout d’abord brièvement que notre analyse nous a amené à conclure qu’attac constitue certainement, du moins
dans le monde francophone, l’une des composantes de la société civile au sein
de laquelle les potentialités du “ réseau des réseaux ” sont le plus
exploitées[4].
L’utilisation du réseau technique s’appuie sur le réseau social préexistant. De
façon générale, les services de l’Internet peuvent être considérés comme des catalyseurs
de l’action collective. L’appropriation de l’Internet a reposé sur le
développement de nombreuses expériences mobilisant plusieurs services. Et
pourtant… l’Internet a été diversement apprécié lors du lancement de
l’association. Alors que celle-ci avait commencé à exister en février 1998
grâce à la liste “ attac-talk ”
et au site sur la Toile suite à l’éditorial publié par Ignacio Ramonet en
décembre 1997 dans “ Le Monde Diplomatique ”, ces deux activités
n’ont reçu aucune marque de reconnaissance le 3 juin suivant lors de la
première assemblée générale constitutive. Responsable de la rédaction du
compte-rendu de celle-ci, L. fit notamment part dans le cadre de
“ quelques observations personnelles ” du commentaire suivant :
“ j’ai regretté qu’il ne soit jamais fait mention du travail intellectuel
engagé par la liste de discussion attac-talk
sur internet. Pourtant, on ne peut que reconnaître les progrès tangibles de ce
travail décisif en cours. Il ne faudrait pas que ces efforts soient perdus
parce qu’isolés des organes dirigeants de l’attac ”.
Cet “ oubli ” de la part des responsables de l’association n’est
d’ailleurs pas très étonnant quand on sait combien l’Internet a été reçu avec
méfiance dans bon nombre de milieux intellectuels français, dont certains
“ gravitent ” autour du “ Monde Diplomatique ”.
Pour
que l’Internet présente un intérêt pour la direction de l’association, il a
fallu la conjonction de deux phénomènes. D’une part, les personnes qui
s’étaient saisies du développement des activités liées à l’Internet à partir du
mois de février 1998, à commencer par les deux animateurs, P. et L., ont du
mener le combat, non seulement sur la plateforme de l’association, mais aussi
sur la pertinence d’utiliser le “ réseau des réseaux ” comme outil de
mobilisation. Dans une certaine mesure, ce qui n’était à l’origine qu’un outil
au service de l’activisme s’est transformé pour eux en objectif. L. a
d’ailleurs insisté à plusieurs reprises sur la liste “ attac-talk ” sur l’importance que
les internautes devaient accorder à l’utilisation de l’Internet comme
instrument de mobilisation, comme outil de résistance, pouvait être efficace
pour l’association. Cette forme de militantisme a, par exemple, été très
visible dans les messages dans lesquels il s’est dit désolé de donner une image
négative du groupe des internautes à la direction et aux autres groupes de
l’association[5]. Il a
également tenu à faire part régulièrement des réalisations effectuées en
rapport avec l’Internet sur la liste de diffusion en langue française. Il lui
est même arrivé de mettre en avant son militantisme pour l’Internet. C’est
notamment arrivé lors de l’“ affaire altern.org ” où il a pris
position pour Valentin Lacambre dans ces termes : “ l’espace de
parole public qu’est Internet risque d’être abattu. Prenant acte de cette
menace, des risques qui pèsent sur son activité militante "on line"
et par solidarité avec Valentin Lacambre, Attac
décide de fermer, jusqu’au 21 mars, l’accès public par la Toile à ses forums de
discussion ”, et ce avant de signer de façon inédite :
“ Webmestre du site Internet attac.
Responsable technique des listes de discussion non modérées d’attac ”. Pourtant, malgré son
“ omniprésence ” au sein de l’association à travers son rôle de
responsable de “ l’espace public électronique ”, il lui a fallu
attendre du temps avant que ses activités soient reconnues comme telles par la
direction. Pendant plusieurs mois, certains abonnés-es à la liste “ attac-talk ” ne se sont d’ailleurs
pas privés de lui rappeler qu’il n’avait aucune légitimité formelle au sein de
l’association. Depuis, la situation a bien changé. L. anime des ateliers
consacrés à l’Internet dans le cadre des assemblées générales annuelles de
l’association. Il l’a également fait lors de l’Université d’été qui s’est tenue
en l’an 2000.
Les autres acteurs essentiels qui ont favorisé la
pénétration progressive de l’Internet au sein de l’association ont été les
membres des groupes locaux, notamment un certain nombre de responsables. Nous
l’avons, entre autres, remarqué à l’étude des réponses aux questionnaires
envoyés par nos soins[6] :
17 personnes sur 25 ont déclaré avoir adhéré dans un groupe local de
l’association. Leur engagement dans les activités de l’association va parfois
loin. Un tiers d’entre elles ont même répondu être membres du conseil
d’administration de leur groupe local. Sur les 8 autres personnes, 5 ont opté
pour le qualificatif de sympathisant. Elles ont expliqué leur choix d’un
engagement exclusivement électronique, soit parce qu’elles ne souhaitaient pas
s’investir dans un groupe, soit parce qu’elles ne le pouvaient pas pour des
raisons d’éloignement par rapport à un groupe local ou pour des raisons de maladie
obligeant à rester à domicile. Cet engagement important des membres des groupes
locaux, dont certains responsables, sur le “ Net ” s’est notamment
concrétisé par la création de sites spécifiques distincts des sites nationaux,
ainsi que par la création de nouvelles listes de diffusion et de discussion
parfois réservées aux membres du groupe local. Plusieurs dizaines de comités en
France ont décidé de maîtriser entièrement la chaîne de l’information en
possédant leur propre site, voire en créant leurs propres listes électroniques.
À l’origine d’un site particulièrement fourni, l’un des groupes les plus
dynamiques, attac-Rhône, a ainsi
créé deux listes : une liste de diffusion ouverte à tous les internautes
qui souhaitent être au courant de l’actualité d’attac-Rhône et une liste de discussion réservée aux adhérents
et aux adhérentes du groupe. Un autre groupe très dynamique, celui de Loire
Atlantique, a préféré utiliser la Toile pour proposer un magazine électronique
“ Les Brèves sur le Net ”. Le site est également utilisé pour avoir
accès à de nombreuses informations dont celles relatives à la tenue de
l’assemblée générale annuelle (rapport moral, rapport d’activités, rapport
financier, motions, réflexions diverses et compte-rendus).
Le
même phénomène de créations de listes, de sites à différentes échelles a
également été constaté dans d’autres pays, à commencer par la Suisse. Lors de
l’étude du contenu de la liste en février 1998, nous avions remarqué la forte
présence helvétique. C’est d’ailleurs un Suisse, P., qui fut le premier
internaute à faire part sur la liste francophone d’une action sur le terrain,
celle de son groupe, auprès des autorités politiques de son pays. Cette
présence assez régulière des Suisses sur la liste “ attac-talk ” au lancement de
celle-ci ainsi que leur propension à mener rapidement des actions sur le
terrain, notamment vis-à-vis de leurs responsables politiques, a pu être
analysée comme une habitude de la part de certains citoyens et citoyennes du
pays à se saisir des dossiers politiques. Au vu de leur dynamisme sur la liste,
il n’a pas été étonnant d’apprendre que la confédération helvétique a été le
deuxième pays à voir naître une structure très organisée d’attac avec à la fois une direction
nationale et des groupes locaux organisés par cantons. Parallèlement, les
suisses ont également créé leur propre site national ainsi que quelques sites à
l’échelle cantonale, à l’image de ceux de Genève et de Fribourg. Ils ont
également créé leur propre liste de discussion à l’échelle fédérale ainsi que
des listes dans les groupes locaux qui souhaitaient en disposer.
Si
nous récapitulons, nous pouvons donc estimer que l’appropriation sociale de
l’Internet au sein d’attac a été
menée à la fois au sommet par quelques personnes consacrant leurs activités au
développement du “ réseau des réseaux ” et à la base dans les groupes
locaux. En complément, nous allons considérer le fait qu’elle a été favorisée
par la reprise de discours critiques vis-à-vis de l’Internet de la part des
promoteurs de celui-ci. Nous allons y venir dans cette deuxième partie de notre
texte.
Quand
l’Internet devient le thème des discussions et des formations
Nous nous sommes rendu compte au fil des mois que l’Internet devenait un sujet de débat au sein et autour de l’association. Une fois de plus, c’est sur la liste “ attac-talk ” que cette tendance a été “ inaugurée ”. C’est H.[7] qui fut le premier à aborder le 12 février 1998 le rôle de l’Internet en tant qu’outil de mobilisation sociale. Rappelant que “ Le Monde Diplomatique ” avait été le premier média à rendre le texte disponible sur le “ Net ”, il mentionna que d’autres associations françaises — comme “ ac ! ”— avaient déjà utilisé l’Internet, mais que c’était la première fois avec le projet d’ami que l’Internet pouvait montrer “ toute sa puissance ” en proposant des réflexions de groupes représentant des intérêts divers en provenance de plusieurs pays. Envoyé le 16 février suivant, le deuxième message portant sur le rôle de l’Internet eut un ton franchement différent et son contenu porta spécifiquement sur la liste. P. déclara dans celui-ci être “ submergé de contenus ” et décida de “ réagir aux contenants ” en demandant que les messages soient beaucoup moins longs, que l’animateur/modérateur soit actif, qu’il propose des synthèses, que les objectifs de la liste soient clairs, que les en-têtes des messages soient coupés dans le cas de citations et que tout le monde s’inspire de certains messages. À quoi V. répondit le même jour qu’il importait d’éviter “ les propos émotionnels et peu propices à la réflexion ” et de mettre l’accent sur la taxe Tobin dans les messages, mais qu’il fallait autoriser la remise en cause de toute opinion controversée. Le “ débat sur le débat ” était lancé…
Quelques
mois plus tard, le nombre de messages portant sur le rôle de la liste et
au-delà sur l’Internet en tant qu’outil de militantisme était devenu beaucoup
plus important, celui-ci pouvant désormais dépasser la trentaine en une
journée, voire la centaine après trois jours de congé. Le 9 novembre 1998 tout
en faisant référence au débat sur la politique du Ministre français de la
Recherche, un membre du bureau d’attac,
déclara avoir été “ effarée de découvrir les échanges des derniers jours
sur le forum attac ”. Elle
revint également sur le rôle du “ Net ” au sein de l’association en
rappelant que “ la grande majorité des groupes locaux et adhérents
[n’étaient pas] utilisateurs d’Internet ”. Puis elle reprocha aux
internautes adhérents et sympathisants de ne pas beaucoup s’investir dans
l’association. Le responsable d’un magazine de gauche, membre fondateur d’attac [8],
proposa alors de distinguer nettement l’association et la liste en ajoutant que
la “ réalité de l’association ” était évidemment ailleurs, notamment
dans le développement des groupes locaux, mais qu’il ne fallait pas condamner
pour autant les échanges sur la liste, témoignages de la diversité des opinions
et du fait que “ la polémique, c’est aussi de la vie ! ”. La
non-représentativité des internautes présents sur la liste revint plusieurs
fois par la suite dans les propos. Circula alors notamment l’idée selon
laquelle les membres de groupes locaux seraient plus impliqués dans l’action
que les internautes. Plusieurs abonnés-ées mirent l’accent sur le fait que le
nombre de courriels était généralement trop élevé, certains contributeurs étant
considérés comme étant autant “ d’autistes certainement généreux mais trop
souvent "ayatolesques" ”.
Certains abonnés-ées essayèrent d’aller au-delà de ces constatations, J. remarquant que le problème de fond résidait dans le fait que ce qui était pertinent pour une personne ne l’était pas forcément pour une autre et C. estimant que la liste n’était, selon lui, “ ni marginale, ni centrale ”, mais qu’il serait pertinent “ d’être plus constructif dans le sens de la recherche et de l’utilisation des potentialités du réseau ”. Au fil des mois, la place de l’Internet par rapport à l’association et au-delà par rapport au militantisme devint un sujet récurrent.
L’Internet a aussi constitué un sujet de discussion au sein des groupes locaux. Au fil des mois, nombre d’entre eux organisèrent des formations au “ réseau des réseaux ”. Parfois, celles-ci donnèrent lieu à de véritables réflexions sur celui-ci. Deux exemples ont retenu notre attention. Dans le premier cas, l’un des membres du groupe du 15e arrondissement de Paris proposa un long exposé sur l’Internet en tant qu’outil au service du développement du capitalisme. Sous le titre “ Internet, instrument idéologique et agent économique au service de la mondialisation ”[9], D. souhaita apporter “ un éclairage sur les raisons et sur les causes essentielles qui ont fait qu’Internet [est] devenu un phénomène mondial, objet de convoitise et d’appropriation de la part des élites politiques, des intellectuels ou bien plus encore majoritairement des décideurs d’entreprises et des investisseurs, recouvrant principalement une seule et même idéologie, une même bataille : celle de la domination absolue des marchés financiers et du commerce électronique ”. Après avoir rappelé l’origine partiellement militaire de l’Internet, il développa l’idée selon laquelle celui-ci devrait surtout avoir pour rôle de dynamiser l’économie.
Dans
le second, le responsable des sites d’attac
Bruxelles et d’attac Belgique,
R., proposa une formation à l’Internet en écrivant des articles pour la revue
papier “ Angles d’attac ”
et pour le site belge[10]
tout en organisant des réunions de formation. Dans la documentation papier et
électronique, il commença par présenter les différentes caractéristiques de
l’Internet, notamment en termes de composantes (des réseaux aux terminaux en
passant par les routeurs) et de services. Ensuite, il aborda plus
spécifiquement la question de la formation au html
en insistant à cette occasion sur le rôle négatif joué selon lui par Microsoft
et ses éditeurs dits wyisiswig
(“ What You See IS What You Get ” ou “ Ce que vous voyez à
l’écran est ce que vous obtenez dans le navigateur ”). Sa réflexion en la
matière a témoigné à notre avis de la prise de conscience de l’importance même
de tenir compte des types d’outils utilisés à des fins de militantisme. Nous
avons retrouvé ici une véritable approche critique fondée sur
l’expérimentation :
Sous prétexte de "5, 4, 3, 2 minutes vous
l’avez — soi-disant — en main", ils [ndr : il
s’agit des éditeurs dits wyisiswig]
rendent peu à peu obsolète un outil de démocratie avant même qu’il ait pu le
devenir ! Le comble est atteint avec les conversions de Microsoft Word
2000 de ses documents au format html.
Mais avant d’aborder ce point, j’attire ici l’attention du citoyen
certainement, mais aussi et surtout des formateurs (professeurs dans les
écoles, formateurs d’associations sociales, culturelles, militantes, etc.) à
l’insidieux danger d’une utilisation fondamentalement anti-démocratique et
"faustienne" de la technique. Tous, nous risquons en cédant
inconsidérément à l’illusion d’une fausse facilité à but de domination
commerciale, de sacrifier portefeuille, neurones, culture générale et liberté,
au plus grand profit des marchands. La maîtrise des techniques est un enjeu
démocratique que méprise l’appétit goulu de profit de l’Oncle Bill[11].
À
la suite de cette initiative, plusieurs participants et participantes créèrent
un “ groupe de cyberbénévoles ” afin de bénéficier de la formation au
html et à la mise en page
“ intelligente ” de l’information, formation dispensée par R.. Ils
estimèrent à l’occasion qu’ils pourraient ensuite répondre aux demandes des
différents webmestres d’attac,
que ce soit en Belgique ou à l’étranger.
De
son côté, le webmestre d’attac
Belgique continua de développer son propos consacré à l’Internet en répondant à
Serge Halimi[12], auteur
d’un article paru dans le numéro du mois d’août 2000 du “ Monde
Diplomatique ”, article portant le titre explicite suivant :
“ Des "cyber résistants" trop euphoriques ”. Dans son
article, le collaborateur du “ Diplo ” avait estimé qu’il était
préférable de maîtriser l’histoire, la politique et l’économie — ce
qui concerne par exemple les luttes syndicales — que le
fonctionnement de l’Internet pour combattre l’ordre des choses, que si
l’Internet était potentiellement susceptible, à l’instar de tout autre moyen de
communication, de faciliter la contestation, il ne fallait pas oublier qu’il
était actuellement “ au service du nouvel ordre planétaire ” et que
la grande majorité des internautes étant bien insérés socialement, il ne
fallait pas compter sur eux pour contribuer aux luttes sociales.
À
quoi le webmestre répondit que le risque le plus important était de laisser
l’Internet à l’ennemi, qu’il n’était pas convaincu que les principaux
détenteurs du pouvoir, à savoir les États et les entreprises, maîtrisent
vraiment le développement du “ Net ”, qu’il n’y avait pas
contradiction entre la formation à l’Internet et le développement de la
culture, de l’expérience, de la formation militante et que les problèmes bien
réels soulevés par Serge Halimi n’étaient pas spécifiques à l’Internet. Il
mentionna en revanche un certain nombre de problèmes directement liés au
“ réseau des réseaux ” : l’attribution des noms de domaine
dorénavant effectué par un organisme privé, l’Internet Corporation for Assigned
Names & Numbers (icann), dont
il faut surveiller le rôle devenu central ; l’emploi d’adresses dynamiques
de la part des fournisseurs d’accès visant à attribuer le moins de bande
passante aux abonnés-ées et empêchant ceux-ci d’avoir leur propre
serveur ; la complexification de la production de contenus pouvant
provenir de la multiplication des spécifications propres à chaque logiciel
employé ; l’importance cruciale de l’établissement de liens entre des
sites, ce qui permet de les “ rapprocher ”, et ce même s’il s’agit de
contenus critiquables car ces derniers peuvent s’avérer utiles à des fins de
militantisme ; la place croissante du commerce électronique pouvant être
évitée par le refus systématique de mettre des liens susceptibles de conduire à
de telles offres et par le changement de sa propre page d’accueil souvent
proposée par son fournisseur ; la prise en compte du fait que les données
qui circulent sur le “ Net ” n’ont aucun caractère confidentiel et
qu’il ne faut pas divulguer certains renseignements. Les propos de Serge Halimi
et les siens contribuèrent ensuite à de nouvelles discussions lors des
réunions. Ce type de démarche réflexive nous a semblé fort important dans le
cadre du processus d’appropriation sociale de l’Internet au sein d’attac.
Vers
une organisation plus horizontale ?
L’appropriation
de l’Internet par les groupes issus de la société civile a lieu alors qu’il est
de plus en plus souvent question des nouvelles formes de mobilisation sociale.
Ainsi, les structures des organismes constitutifs de
la société civile tendraient généralement à être non hiérarchiques,
décentralisées, destinées à encourager les initiatives venant de la base
militante. Ces organismes fonctionneraient d’ailleurs largement en réseaux plus
ou moins denses, souples, changeants. Or, l’implantation de l’Internet — qui est justement né dans
un milieu soi-disant peu hiérarchisé et en tout cas relativement homogène,
celui de la recherche — au
sein de ces structures contribuerait à cette tendance. L’étude d’attac montre que cette vision est
partiellement fausse. Il est vrai que l’association correspond en partie à
cette description des nouvelles structures. Ses composantes sont diversifiées
avec une vingtaine de déclinaisons dans le monde et plus de 170 groupes locaux.
Sa structure au sommet est fort modeste, puisqu’elle comprend cinq permanents
en France pour plusieurs milliers d’adhérents et d’adhérentes. L’utilisation de
l’Internet permet par exemple, d’une part, d’assurer un travail de coordination
à l’échelle internationale sans qu’il soit nécessaire d’avoir un secrétariat
important, d’autre part, de faire partager à l’ensemble des groupes locaux les
expériences dont les uns et les autres veulent bien faire part. De façon plus
générale, il est en effet très facile d’envoyer un courrier électronique à
plusieurs personnes ou/et à plusieurs groupes de personnes sans travail
supplémentaire, ce qui peut contribuer à une plus grande propagation de
l’information et donc à une diminution de l’effet de concentration de celle-ci
lié aux hiérarchies.
On estime d’ailleurs souvent que les échanges communicationnels
effectués par l’Internet sont moins susceptibles d’être hiérarchisés, qu’ils
devraient être plus horizontaux. Or, l’étude des propos tenus sur la liste
“ attac-talk ”, nous a
en effet permis de constater que rares
ont été les personnes qui ont fait état de leur formation et de leur situation
professionnelle pour légitimer leur argumentation. Une fois seulement, deux
abonnés ont brandi haut et fort la détention d’un “ PhD ” pour
obtenir gain de cause dans un échange. Cette mention est d’ailleurs subitement
apparue dans leur signature lorsqu’il en a été question dans leurs propos. La
quasi-totalité des intervenants et des intervenantes qui ont signé leurs
messages n’ont jamais mentionné leur statut social lié à leur formation ou à
leur profession. Devrait-on pour autant conclure que la liste “ ATTAC-talk ” s’est avérée être un
modèle d’échanges horizontaux ? Il convient d’être prudent avant
d’apporter toute réponse trop tranchée. Dans une certaine mesure, les
internautes n’ayant presque jamais mis en avant leur statut social, nous
répondrons “ Oui ”. Une raison relativement simple explique sans doute
cette tendance : le profil des es abonnés-ées de la liste présente une
relative homogénéité sociale étant donné qu’il correspond plutôt à la
population aisée. Toutefois, en y regardant de plus près, nous avons constaté
que des inégalités considérables de participation demeuraient, la principale
frontière résidant entre, d’un côté, les internautes “ muets ”, une
large majorité, et de l’autre, les internautes “ bavards ”, une
petite minorité.
Nous
avons aussi noté des rapports ambigus entre plusieurs abonnés-ées et les
instances dirigeantes de l’association, notamment le bureau et le conseil
scientifique. D’un côté, un discours a été développé autour de l’idée que les
membres de la liste seraient aussi capables que les “ gens d’en
haut ” d’émettre des propositions, voire que la direction ne
représenterait pas la véritable association, ce qui remettrait en cause sa
nature démocratique[13].
De l’autre, certains internautes ont regretté que les représentants-es des
instances dirigeantes ne s’investissent pas plus dans la participation à la
liste de discussion, comme s’ils avaient besoin de la reconnaissance, de la
légitimation des dirigeants-es pour participer aux échanges[14].
Au fil des semaines, les discours de certains internautes nous ont donc semblé
parfois ambigus, leurs prises de position hésitant entre demande d’une plus
grande structuration des activités et le maintien d’une certaine spontanéité,
entre le souhait d’une organisation hiérarchique souple mais efficace et d’une
organisation démocratique horizontale sans dirigeant, ni dirigé. L’existence de
“ hiérarchies ” a été particulièrement visible lors des échanges de
fond à fort contenu économique. Certes, nous avons alors remarqué une certaine
remise en cause des frontières entre les détenteurs et détentrices d’un savoir
reconnu institutionnellement et les autres. Mais celle-ci a seulement été
partielle.
Cela
a été tout particulièrement le cas lors de l’établissement de relations
ambiguës entre certains abonnés-ées de la liste et les membres du conseil
scientifique. Lorsque le secrétariat de l’organisation communiqua des documents
conçus et rédigés par les membres du conseil sur la liste, les abonnés-ées
furent invités à se prononcer. Or, ils le firent peu, du moins par
l’intermédiaire de la liste[15],
tout en délivrant de temps en temps des critiques sur l’absence de
participation des membres du conseil à la liste. Visiblement conscient du
problème, L., l’un des deux animateurs annonça le 23 octobre 1998 que le
président du conseil, avait “ accepté le principe d’organiser des débats
thématiques avant la tenue de la réunion du cs
sur le même thème, afin de pouvoir en faire une synthèse et donner lieu à une
construction autour des différentes sensibilités et personnalités, dont nous,
de la pensée d’attac ”, le
“ nous ” faisant référence aux internautes abonnés à la liste de
discussion. C’est à ce moment-là que fut créée par ailleurs l’adresse de
courrier électronique du conseil scientifique. Ce geste permit de créer un lien
direct, du moins potentiel, entre les membres du conseil et l’ensemble des
abonnés-ées de la liste. La distance ne fut pas pour autant supprimée. Ainsi,
lorsqu’É. s’interrogea sur la signification de deux expressions, suite à
l’envoi sur la liste de deux textes rédigés par des membres du cs, ce furent deux abonnés
“ anonymes ” de la liste, A. et J.-C., qui répondirent en donnant des
définitions très détaillées du “ Ratio Cooke ” et du “ modèle
Morgan d’évaluation des risques ” et non les membres du conseil qui
étaient pourtant interpellés. Cette fois, la frontière entre détenteurs d’un
savoir reconnu institutionnellement et non-détenteurs d’un savoir reconnu
institutionnellement venait d’être remise en cause…
Elle ne le fut que partiellement, notamment à cause de la difficulté des thèmes abordés. Plus ou moins régulièrement, des abonnés-ées se sont plaints de ne pas tout comprendre (“ le pire, quand on n’est pas économiste, c’est qu’on n’y comprend pas grand-chose, à vos messages "élaborés" ”). C. mentionna le fait que le sujet de la “ tt ” était ardu et que s’il suivait le débat avec attention, il ne se sentait pas les compétences pour se faire une opinion. Tout en donnant quelques informations sur ce qui se passait en Suisse en matière de couverture médiatique, F. avoua qu’il avait renoncé à lire le texte complet de l’ami : “ J’ai renoncé à lire le texte de l’ami, trop technique, je fais (mais ai-je raison en fait ?) confiance à l’article du "Monde Diplomatique" ”. Il en tirait comme expérience que ce serait très difficile de mobiliser des gens : “ d’une manière plus large, il va être tout sauf évident de créer une prise de conscience large sur cet accord. Le sujet en est ardu, complexe, loin des préoccupations des gens ”. Ce genre de réaction expliqua d’ailleurs pourquoi il y eut si peu de débats consacrés à l’ami. Parfois, certains demandèrent même à ce qu’on leur explique, à l’image d’O. :
Vous êtes PAR DEFINITION une toute petite minorité à
comprendre les mécanismes économiques et financiers dont vous discutez. attac
ne sera utile que si elle devient un mouvement important par la taille. Vous avez besoin des gens comme moi
qui ne savent pas de quoi il retourne. Des gens qui sont prêts
à aider, à militer, à répandre des idées, mais qui ne le feront bien que si ils
les comprennent. Alors soyez didactiques plutôt que dogmatiques.
F.
a abondé dans le même sens : “ Je crois que nous sommes une majorité
sur la liste à n’entraver que dalle à l’économie, mais plein de bonne volonté
pour essayer d’utiliser nos neurones pour comprendre ”. L’un des membres
du secrétariat, prénommé E., appuya la position d’O., en écrivant que si les
spécialistes devaient faire un effort pour se faire comprendre, les
“ simples mortels ” devaient “ les inciter inlassablement ”
à expliquer, à accompagner systématiquement (“ dans l’idéal ”) leurs
textes d’explications (“ par exemple sous la forme d’un document de
synthèse des questions-réponses attaché au
document technique ”), ce système des questions-réponses étant
d’ailleurs susceptible de “ détecter l’honnêteté intellectuelle chez
certains (pas forcément de notre bord) avec qui nous [pourrions] faire avancer
le débat ”. Si certains abonnés-ées ont montré qu’ils pouvaient proposer
des analyses très pertinentes, d’autres ont avoué leur ignorance et ont alors
souhaité être “ éclairés ” par les membres du Conseil.
Il
est apparu très vite évident qu’un minimum de connaissances en économie et en
politique était nécessaire aux internautes qui souhaitaient vraiment participer
à des débats de fond. La frontière entre les soi-disant titulaires du savoir et
les autres tend à s’estomper, mais elle n’est pas effacée complètement pour
autant. Sur cette question comme sur d’autres, le rôle de l’Internet est à la
fois important et tout à fait secondaire. Il est important parce qu’il donne en
effet la possibilité d’échanger de façon plus horizontale et donc de révéler
des capacités de la part de personnes qui n’auraient pas forcément bénéficié
d’un espace pour s’exprimer. C’est le cas par exemple lorsqu’un abonné ou une
abonnée de la liste est invité-e à participer aux travaux du conseil
scientifique. Il est secondaire parce qu’il n’est rien sans la volonté des uns
de s’ouvrir[16] et sans la
volonté des autres de s’investir. L’échange ne peut être véritablement
horizontal que si, d’une part, les membres du conseil scientifique d’attac acceptent d’échanger avec des
égaux et que si, d’autre part, les abonnés-ées de la liste préfèrent les réflexions
de fond aux propos superficiels et aux invectives.
Au fil du temps toutefois, le conseil scientifique a été “ contaminé ” par le développement des usages de l’Internet. À l’origine, celui-ci avait la forme d’un “ noyau dur permanent ”. À partir du moment où les services du “ Net ” ont été progressivement mobilisés dans le cadre des activités situées en amont et en aval du conseil et que les usages développés ont tendu à influencer le processus même de production de la “ contre-expertise ”, il s’est produit une complexification du schéma organisationnel. Certes, le noyau dur existe toujours mais la structure même du conseil tend à être de plus en plus souple. Lors d’un premier bilan effectué en juin 2000, son président, a d’ailleurs présenté la structure du conseil de la façon suivante : “ Plus que d’un "conseil" — évoquant une structure fermée — c’est d’un réseau — structure ramifiée, ouverte, non hiérarchisée et susceptible de s’étendre en fonction des besoins — qu’il convient de parler. ”. Le noyau lui-même est en permanence ouvert à des compétences extérieures, selon la nature des thèmes abordés et reste ouvert à ceux et celles qui, y ayant été invités une fois, souhaitent y retourner. De plus, un certain nombre de groupes périphériques ont été créés, soit sur une thématique particulière (paradis fiscaux, confiscation du vivant, Taxe Tobin, Fonds de pension, épargne salariale...), soit en collaboration avec des organisations qui défendent les mêmes positions (cas des positions définies en coopération avec le cccomc à la veille du sommet de Seattle, avec la Confédération paysanne sur les ogm, etc.
Conclusion (très provisoire…)
L’appropriation
sociale intensive et diversifiée des services de l’Internet peut donc avoir des
conséquences importantes au sein de l’organisation sur la façon dont celle-ci
participe à l’espace public. C’est le processus même de production de
l’information qui change partiellement. Si le processus d’appropriation sociale
a été effectué au service des objectifs de l’association en termes de
participation à l’espace public, on peut estimer qu’en retour, cette
appropriation sociale de l’Internet a eu une influence non seulement sur les
moyens mobilisés mais aussi sur le plan organisationnel, voire dans une
certaine mesure, sur les objectifs de l’association, comme en témoigne, entre
autres, la politique en matière de traduction. C’est la formation des usages de
l’Internet qui a structuré la façon dont ce type d’activités s’est développé au
sein de l’association. En revanche, certaines des activités se sont développées
au sein de l’association de façon plus traditionnelle sans qu’il ne soit fait
appel à l’Internet, du moins au départ, mais la situation a changé suite à
l’introduction progressive de l’Internet. Nous l’avons notamment constaté à
propos du travail du conseil scientifique.
L’ensemble
des déclinaisons d’attac, qu’il
s’agisse des associations nationales, des comités locaux ou des regroupements
internationaux naissants, constituent des structures en réseaux caractérisées
par le très grand nombre d’enchevêtrements. L’utilisation de l’Internet
favorise la mise en place de ce type de structures souples et hétérogènes, mais
rien n’indique qu’elle l’implique. Utiliser le “ Net ”, en
l’occurrence la Toile comme un “ simple ” moyen supplémentaire de
transmission de l’information comme l’ont fait la quasi-totalité des organismes
que nous avons étudié à l’occasion de l’ami
n’implique aucun changement majeur dans l’accès à l’espace public. En revanche,
un développement d’usages intensifs et variés peut favoriser l’émergence de
nouvelles structures et une recomposition du système de production de
l’information mise à disposition dans l’espace public. Si de nouvelles formes
de mobilisation comme attac
s’approprient plus rapidement et plus complètement les services de l’Internet,
c’est incontestablement et simultanément parce qu’elles ont moins tendance à
reprendre à leur compte les formes de mobilisation traditionnelle, parce que
leurs réflexions sur la démocratie — et
sur l’Internet — les amènent en effet à opter pour des structures qui
sont par exemple moins centralisées, plus délégatives, mais aussi, on a trop
tendance à l’oublier, parce qu’elles n’ont pas le choix dans une certaine
mesure, notamment pour des raisons économiques à une époque où les financements
sont de plus en plus difficiles à trouver notamment suite au retrait de l’État
providentialiste. Les raisons techniques, politiques et économiques
apparaissent étroitement mêlées.
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Vermette
[1] Cette thèse intitulée “ L’utilisation de l’Internet comme mode de participation à l’espace public dans le cadre de l’ami et au sein d’attac : Vers un renouveau de la démocratie à l’ère de l’omnimarchandisation du monde ? ” a été effectuée en co-tutelle à l’École Normale Supérieure de Fontenay/Saint-Cloud sous la direction de Jean Mouchon et à l’Université du Québec à Montréal sous la direction de Gaëtan Tremblay. Nous avons travaillé sur les usages de l’Internet au sein d’organismes publics et parapublics, ainsi que de groupes constitutifs de ce que l’on appelle souvent la “ société civile ”, à partir du dossier de l’accord multilatéral sur l’investissement (ami) discuté entre 1995 et 1998 à l’ocde. C’est la première fois que l’utilisation de l’Internet par des organisations militantes a été évoquée à l’échelle mondiale pour expliquer une mobilisation sociale.
[2] Nous avons aussi étudié les usages de l’Internet consacrés au projet de l’ami de la part de l’Organisation de coopération et de développement économiques (ocde), du Ministère des affaires étrangères et du commerce international du Canada, du Ministère de l’économie et des finances de la France, du Congrès du travail du Canada. (ctc), du groupe québécois “ Opération Salami ”, du “ Monde Diplomatique ”, de la Société des auteurs compositeurs dramatiques (sacd) et de l’association pour une taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens (attac).
[3] Nous avons aussi abordé les points suivants dans le
cadre de notre thèse : la remise en cause de l’État-nation comme
interlocuteur central, la façon dont l’identité est construite sur le
“ Net ” et la place des revendications matérielles comme objectif.
[4] Nous avons abordé les différents types d’usages de l’Internet, de l’utilisation à l’interne à l’utilisation en vue de constituer des coalitions en passant par les utilisations à destination du grand public, des pouvoirs politique et économique dans un article intitulé “ De l’utilisation de l’Internet comme outil de mobilisation : les cas d’attac et de Salami ” (2000). En conséquence, nous n’aborderons pas ceux-ci de façon détaillée dans ce texte.
[5] L. a déclaré plus ou moins ouvertement à plusieurs reprises sur la liste que le groupe formé par les abonnés-ées à “ attac-talk ” pouvait être comparé à un groupe local.
[6] Est-il besoin de préciser que si les 25 réponses à l’envoi de 50 questionnaires nous ont souvent semblées intéressantes, elles n’ont évidemment aucun caractère représentatif ?
[7] Nous avons supprimé les noms et prénoms des participants et participantes au débat pour des raisons de confidentialité.
[8] À notre connaissance, il fut le seul membre fondateur d’attac à s’exprimer sur la liste en février 1998 puis entre le 13 octobre et le 12 novembre 1998, ce qui donna quelques raisons de se plaindre aux abonnés-ées de la liste.
[9] http://www.local.attac.org/paris15/documents/exposes/ExposeInt01.htm
[10] http://www.attac.org/belgique/frame_droite/fd_formation/fd_formation_accueil.html
[11] http://www.attac.org/belgique/frame_droite/fd_formation/fd_int_hum_onclebill.html
[12] http://www.attac.org/belgique/frame_droite/fd_actualites/fd_rep_halimi.html
[13] Y. affirma qu’aucun membre du bureau ou du conseil scientifique ne s’était exprimé sur la liste, hormis B. pour le bureau et R. pour le conseil. Il posa même la question de la légitimité du conseil en se demandant si ses membres avaient vraiment du temps à y consacrer (“ On comprend que des gens connus soient parmi les "fondateurs " d'une association et ne fassent rien, MAIS selon moi, un C.A ne doit pas être un bel organigramme… ”).
[14] C. envoya un message comprenant l’extrait suivant : “ je trouve qu’il y a des évolutions positives notamment dans la prise en compte de la liste par les têtes pensantes d’attac, il reste des défauts sur la démocratie et j’attend (quitte à me répéter) les interventions éclairées des éminentes personnes (pour qui j’ai une véritable estime) sur notre site, en l’attente je trouve tout procés d’intention nul et non avenu ”.
[15] Ils pouvaient aussi envoyer directement leurs commentaires au bureau à l’adresse générique. Ils ont également eu la possibilité de les envoyer directement à l’adresse générique du conseil scientifique peu de temps après. Nous n’avons pas eu accès à ces données.
[16] Or, ce sont souvent les personnes et les institutions qui ont le plus de pouvoir dans une situation donnée qui ont le plus à perdre au changement, technique ou autre ; d’où leurs réserves face à l’innovation. Hervé le Crosnier rappelle par exemple que dans le cas de la création de la liste “ Biblio fr ”, ce sont les représentantes et représentants des organismes les plus importants, comme la Bibliothèque Nationale de France (bnf), l’Agence bibliographique de l’enseignement supérieur (abes), l’Institut national de l’Information scientifique et technique (inist) et les bibliothèques universitaires les plus grandes qui ont toujours été moins actifs, même lorsqu’ils ont été abonnés à la liste. Hervé le Crosnier raconte que, pendant plusieurs mois, ils ont, par exemple, continué à faire publier des annonces de services dans la presse écrite avant de les envoyer à “ Biblio-fr ”. Il estime que cette attitude “ révèle l’inquiétude devant le caractère interactif du réseau : chaque proposition trouvera un détracteur. C’est normal, et souhaitable. Et ce détracteur pourra diffuser sa critique par le même canal. Une situation mal maîtrisée par les institutions, qui demande du doigté. Les institutions ne devraient jamais se sentir au pied du mur ” (1998, en ligne).