La
“télé-médiation” dans les services publics :
changements dans le travail et dans les usages
Gérard
Valenduc
Fondation Travail-Université
Centre de recherche Travail & Technologies
Rue de l’Arsenal 5, B-5000 Namur
Tél. +32-81-725122, fax +32-81-725128
E-mail : gvalenduc@compuserve.com
Cette
communication présente des résultats issus d’une étude réalisée en Belgique
pour l’objectif 4 du Fonds social européen : “adaptation des travailleurs
aux mutations technologiques”. Elle porte sur les changements organisationnels
et les transformations du travail liées au développement de la “télé-médiation”
dans la prestation de services destinés au grand public. L’étude concerne à la
fois des services marchands et non marchands (publics ou associatifs), mais
cette communication se référera en priorité aux résultats qui concernent les
services non marchands.
L’expression
“télé-médiation” désigne toutes les formes de médiation des technologies de
l’information et de la communication dans la relation entre un prestataire de
services et ses clients, usagers ou affiliés. La médiation de la technologie
complète ou remplace la relation face à face. L'intégration de la technologie
dans la relation de service se fait à des degrés divers selon le type de
service, l'objectif visé et le processus de prestation choisi : une
communication téléphonique assistée par ordinateur, un service en ligne, un
guichet en réseau ou d'autres formes d'assistance informatique en ligne.
Le
contact entre le client ou l’usager et le prestataire de services n'a pas
disparu mais il est modifié ; il est plus ou moins dense selon la technologie
et l'organisation mises en place. Pour les activités de service plus complexes
ou plus consommatrices de temps, comme les activités de conseil par exemple,
les contacts se font soit face à face, soit par l'intermédiaire du téléphone ou
de l'ordinateur. A cet effet, certains services publics, à l’instar des
services marchands, mettent en place des plates-formes téléphoniques internes
ou sous-traitent une partie de leurs activités à des entreprises spécialisées
dans les services à distance (centres d’appel). Par contre, pour les activités
plus standardisables, l’usager prend en charge lui-même une part de plus en
plus grande de la prestation. Dans certains cas, la technologie remplace
totalement l'interaction humaine. On assiste alors à une montée en puissance du
self-service. L’usager fait lui-même les choix et prend ainsi en charge la
relation de service et la prestation du service.
Si
cette évolution technologique modifie les pratiques de travail, elle suppose
aussi de nouvelles compétences pour les usagers des services. Ceux-ci sont
amenés à participer à la relation de service, aussi bien dans des situations
totalement automatisées qu’à différents degrés dans le processus de prestation
du service. Cette participation ou coproduction varie selon le degré d'intégration
technologique : l’usager fournit des informations, encode des données, choisit
des options.
La
recherche comporte quatre phases principales. La première phase consiste en une
étude des tendances actuelles et à moyen terme dans le développement des
diverses formes de médiation de la technologie dans la relation de prestation
de services, ainsi que des facteurs contextuels, de type économique, social ou
politique, qui expliquent et motivent ces changements structurels dans la relation
de service. La deuxième phase repose sur une série d’études de cas, dans des
services marchands et non marchands. Ces études de cas se basent sur des
entretiens semi-directifs avec des responsables des services concernés et des
travailleurs confrontés aux nouvelles situations de travail. Dans le cadre de
la présente proposition, on utilisera essentiellement le matériau provenant des
études de cas dans des services non marchands : trois administrations
communales, un organisme régional de formation professionnelle et une
confédération mutualiste. La troisième phase consiste en une analyse
comparative des offres et des demandes de formation professionnelle liées aux
situations de travail caractérisées par la télé-médiation. Dans la quatrième
phase, une série de conclusions et de recommandations seront formulées par
rapport aux finalités du programme Objectif 4 du Fonds social européen, à
savoir les modalités d’adaptation des travailleurs aux mutations
technologiques.
La
recherche a une durée de 21 mois, de juillet 1999 à mars 2001. Le rapport final
sera remis au Fonds social européen et à la Région wallonne, qui cofinance le
projet, en avril 2001. La présente proposition de communication repose donc sur
des résultats actuellement intermédiaires, mais qui seront définitifs au moment
de la conférence du CREIS.
Plusieurs
configurations ont été étudiées, selon le degré d’interaction entre le
prestataire de services et l’usager :
– les services avec interaction directe en front-office, en face
à face avec l’usager ;
– les services avec une interaction
indirecte en front-office, où le contact est médiatisé par le téléphone ou
l’ordinateur (Téboul J., 1999) ([1]).
Dans
le cas des services avec interaction directe, deux configurations
organisationnelles de télé-médiation ont été étudiées :
– Le “guichet à trois” est
caractérisé par une relation de service où trois interlocuteurs sont
indispensables : l’employé, l’usager et l’ordinateur de guichet relié à un
réseau. Ces guichets de nouvelle génération se distinguent des guichets
traditionnels, où l’ordinateur est avant tout un outil d’information à l’usage
du personnel et propre à la gestion interne. Dans le “guichet à trois”, la
relation de service est prise en charge par des “prothèses technologiques”
(bases de données en ligne, formulaires électroniques, systèmes experts) qui
soutiennent et gèrent cette relation et permettent de la conclure.
– Le service mobile consiste à
déplacer le lieu de prestation du service à proximité immédiate de l’usager et
à faire réaliser cette prestation par un employé physiquement itinérant, mais
virtuellement intégré à son institution. Encore peu répandu dans les services
publics, mais fréquent dans la maintenance, l’assistance et le conseil, le
travail mobile concerne cependant des métiers plus spécialisés, comme les
formateurs, les inspecteurs, les contrôleurs.
Dans
le cas où il n’y a plus qu’une interaction indirecte avec l’usager, deux
configurations organisationnelles ont également été étudiées : les
services simplifiés et les services automatisés.
– Dans les services simplifiés,
l’usager est pris en charge avec la même attention que dans une interaction
directe, mais la technologie remplace le contact. La relation est cependant
différente de celle d’un guichet, elle s’inscrit davantage dans une recherche
de simplification, de rapidité et d’efficacité ; les plates-formes
téléphoniques, internes ou externes, appartiennent à cette catégorie.
– Dans les services automatisés, par
contre, la prestation est prise en charge par l’usager ; c’est lui qui
agit, et non plus le prestataire. Si celui-ci intervient encore, c’est en aval
du processus et dans des tâches d’arrière-scène (back-office). C’est le cas
notamment des formalités administratives en ligne, ou de la fourniture
d’informations publiques à travers des bornes interactives ou sur Internet. Il
s’agit en quelque sorte d’un self-service informationnel.
Le
développement de services simplifiés ou automatisés relève d’une logique
d’industrialisation des services (Perret, 1995) ([2]),
qui touche aussi les services publics. Perret distingue trois catégories de
services : les services relationnels faiblement qualifiés, les services
relationnels hautement qualifiés et les services qui peuvent être codifiés et
standardisés. C’est cette dernière catégorie qui est la plus exposée au
développement du self-service et à la simplification de la relation de service,
par le recours à la médiation de la technologie.
Sur
le plan des qualifications et des compétences, les situations de télé-médiation
mettent en évidence l’émergence de compétences communicationnelles et
comportementales : la gestion d’une conversation, l’aptitude à “sourire au
téléphone”, la maîtrise des émotions, la réactivité, l’implication personnelle,
etc. Celles-ci sont déjà requises dans un certain nombre de fonctions
commerciales, mais elles se généralisent aujourd’hui à des univers
professionnels où elles étaient rarement mises en œuvre, notamment au sein des
administrations. Les changements les plus radicaux concernent les employés qui
étaient occupés exclusivement à des tâches administratives ou de gestion en
back-office et qui se trouvent confrontés à la diversité, la complexité, les
aléas ou le stress d’une relation instantanée avec des usagers.
Nos
observations confirment une tendance générale, relevée dans d’autres
études ([3]) et traitées
par plusieurs autres auteurs : la notion de qualification, qui a une
dimension essentiellement collective et qui est liée au poste de travail, à la
relation contractuelle et aux rapports sociaux négociés, perd du terrain au
profit de la notion de compétence, qui est attachée à des attitudes et des
comportements et qui a une connotation nettement plus individuelle, même s’il
est évident que les compétences sont socialement construites.
La
recherche met également en évidence une certaine difficulté à trouver, face à
ces changements, des réponses adéquates en termes de formation professionnelle.
Les nouvelles exigences en matière de communication ne diminuent pas
l’importance des qualifications liées à des métiers ou à des techniques. Elles
ne sont pas indépendantes du niveau ni de la qualité de certains savoirs clés
et compétences de base, comme par exemple la maîtrise d’une ou plusieurs
langues, l’expression correcte, le raisonnement logique sur un diagnostic.
D’une
manière plus générale, le transfert d’une part croissante du processus de
prestation des services vers les clients ou usagers pose la question des
compétences requises ou attendues de leur part. Dans les services marchands, le
développement de la télé-médiation et du self-service repose très souvent sur
une segmentation de la clientèle et une personnalisation différenciée selon les
publics cibles (“customisation of services”). Mais la segmentation et la
personnalisation conduisent aujourd’hui à des situations de discrimination ou
d’exclusion.
Une
telle évolution serait politiquement et socialement inacceptable dans les
services publics. L’obligation de service universel, qui caractérise les
services publics, contraint ceux-ci à aborder d’une manière différente
l’évaluation des coûts et des bénéfices sociaux de la télé-médiation.