L’usage d’Internet et des Intranets d’entreprises
par les organisations syndicales
Fanny Carmagnat*
Des négociations s’établissent en France entre directions d’entreprises et syndicats, sous forme de chartes ou d’accords, pour la réglementation de l’usage des Intranets d’entreprises par les sections syndicales. L’analyse des différentes moutures des chartes, permet de comprendre les raisons de la prudence des directions et des représentants des salariés. Pour les directions, il s’est d’abord agi de ne pas trop donner de pouvoir à la communication syndicale en feignant de croire qu’un site intranet n’est qu’un tableau électronique sans interactivité. Quant aux syndicats, ils craignent une déshumanisation de la relation qui les éloignerait des salariés. Les syndicalistes interrogés reconnaissent pourtant ce que la communication sur réseaux leur a déjà apporté, notamment en matière d’organisation de luttes ou de médiatisation de conflits.
Directions of companies and trade unions are negotiating
charts or of agreements, for the regulation of the uses of the Intranets by the
local unions. The analysis of various versions of these texts, reveles the
reasons of the prudence of the directions and the employee representatives. The
directions do not want to give too much capacity to the trade-union
communication ; the unionists fear a possible dehumanization of the relationship.
The trade unionists however recognize that communication on networks have
already given a real inprove to the organization of fights and mediatization of
conflicts.
On sait comment le mouvement altermondialiste s'est emparé d'Internet pour décupler son audience et sa réactivité militante (cf. les travaux de Fabien Granjon sur les sites de diffusion d'Attac). Mais comment des organisations plus anciennes, qui ont une pratique militante datant de bien avant Internet ont-elles intégré les nouvelles technologies ? Y a t il adéquation entre la notion de "nouveau" mouvement social et usages d’Internet versus organisation traditionnelle et tractage et diffusion papier? Si on en croit l’américain Eric Lee, pionnier de l’Internet syndical, il n’y a pas qu’en France que les syndicats sont connus pour être à la traîne de l’équipement en nouvelles technologies[1]. La pratique syndicale est avant tout construite sur les contacts directs avec les salariés et face au problème majeur que pose la faible syndicalisation de la société française, les responsables syndicaux, ne comptent guère sur l’apport des nouvelles technologies.
Pourtant alors que les entreprises françaises s’équipent massivement en réseaux d’entreprises (Intranets) après avoir acquis des accès Internet[2], la question de l’utilisation de ces nouveaux moyens par les sections syndicales ne peut plus être éludée. Des négociations s’engagent entre directions et syndicats, des chartes s’élaborent, des divergences voire des conflits se font jour. Pour des raisons d’image en, effet, ou par réel intérêt pour la concertation, les entreprises ne peuvent priver les syndicats de moyens modernes de communication. Que peut-on déjà tirer comme enseignements de ce bouillonnement et que peuvent apporter aux syndicats les nouvelles technologies ?
Le droit syndical et
technologies : un trop plein juridique ?
L’usage des Intranets d’entreprises par les organisations syndicales pose tout d’abord la question de l’adaptation du droit aux nouveaux moyens de communication et d’information. Cette adaptation avance à petits pas et avant même d’envisager l’utilisation des réseaux d’entreprises pour les sections syndicales, on s’est demandé si ces sections avaient le droit de créer un site sur Internet. Il a fallu attendre un jugement du 17 novembre 1997 du TGI de Paris faisant jurisprudence pour que l’existence de ces sites soit inattaquable. Ce jugement stipule en effet que « La création d’un site externe à l’entreprises sur l’Internet librement accessible aux salariés de l’entreprises et la diffusion sur un tel site de messages contenant l’expression de revendications syndicales, ne peuvent être considérées comme illicites ».
Concernant les réseaux d’entreprises et les sites syndicaux sur les Intranets, la question est plus difficile à trancher. En l’absence d’une loi contraignant les entreprises à faire une place aux syndicats sur leurs réseaux internes, cette possibilité reste soumise au bon vouloir des directions. En 1999, le gouvernement, en réponse à une question écrite au Parlement indique la voie de la négociation locale :
« Il appartient aux organisations syndicales de rechercher, par voie d’accord avec l’employeur, les modalités d’accès à la messagerie générale et de diffusion de message à caractère syndical sur celle-ci…même si, l’Intranet ayant vocation à être un instrument strictement professionnel, aucune disposition ne contraint l’employeur à accorder aux organisations syndicales l’accès à ce réseau. » (JO du 1° février 1999)
En ce qui concerne ces modalités de création et d’utilisation de sites syndicaux, les juristes contestent l’idée d’un vide juridique. Cette possible extension du droit syndical aux nouvelles technologies doit tenir compte du droit du travail, du droit au respect de la vie privée, sur la sécurité informatique, et s’agissant d’une publication, de celui de la presse. Plutôt que de bâtir de toutes pièce un droit nouveau, il s’agit de mettre en cohérence de nouvelles pratiques avec le droit existant.
Avant d’en venir éventuellement à une loi sur l’usage par les syndicats des réseaux d’entreprises qui serait, en fait, une adaptation du droit existant aux nouvelles technologies, un consensus semble s’être établi entre les acteurs concernés pour laisser des négociations locales s’établir et des pratiques être testées et évaluées. Ainsi en est-il du groupe de travail du forum des droits sur l’Internet[3] qui annonce qu’il a besoin de temps pour rendre son rapport sur le sujet. Le juriste Emmanuel Ray, estime sur ce forum qu’une législation sur le sujet serait prématurée car elle priverait les partenaires d’occasions de débats féconds leur permettant « d’apprendre en marchant ».
Toutefois, en l’absence de législation, on peut imaginer ce que serait un droit à l’usage des Intranets par les syndicats à travers les recommandations faite par le ministère de la fonction publique et de la réforme de l’Etat pour ses propres services[4]. Ces recommandations émises par le ministre Michel Sapin en 2001 sont apparues comme plus favorables aux organisations syndicales que les accords d’entreprises existant à ce moment-là :
-L’administration assure la mise à disposition gratuite de matériel informatique et la formation des membres des syndicats.
-Non seulement la confidentialité du contenu des messages est garantie mais aussi celle des auteurs et des destinataires.
-L’usage des listes de diffusion est autorisée et peut réunir non seulement les adhérents au syndicat mais les personnes qui en auront fait la demande.
-Enfin, le spamming ou tract syndical est autorisé, c'est-à-dire l’envoi du même message à tous les salariés d’une entité.
Seule est interdit la pétition électronique : « L’interpellation des responsables hiérarchiques par le biais de messages électroniques identiques envoyés en nombre (pétition électronique) n’est pas autorisée. »
Ces recommandations sont dans l’ensemble plus libérales que le contenu des premières chartes et accords d’entreprises qui interdisent ou limitent les tracts syndicaux et l’interactivité.
L
Des chartes en négociation
Les premières chartes sur l’usage des TIC et de l’Intranet témoignent de la prudence patronale, mais aussi d’une certaine timidité syndicale face à l’irruption de ce nouveau média interne. De la part des directions, le souci prédomine de ne pas donner trop de liberté, trop de marge de manœuvre aux organisations syndicales à l’occasion de l’entrée en service de ce nouveau moyen de communication avec les salariés. De la part des syndicats, la crainte est que l’usage de la communication sur réseaux les coupe du rapport direct avec les salariés auxquels ils sont traditionnellement attachés.
Moderniser
la communication syndicale dans l’entreprise
Le principe est d’accorder aux sections syndicales des moyens en matériel et en formation pour faciliter la communication syndicale et la mettre, d’un point de vue technologique, au niveau des autres activités de l’entreprise.
Les premières chartes et accords d’entreprises signés l’ont été dans les entreprises publiques ou récemment privatisées. [5] La syndicalisation plus forte dans les entreprises publiques les met en effet au premier rang lorsqu’il s’agit de l’extension du droit syndical ou de son adaptation aux nouvelles technologies. Ainsi France Télécom, Renault et le Crédit Lyonnais ont produit les premières chartes en 2000. Celles-ci l’ont été pour une durée limitée, à titre expérimental. On peut lire en préambule à l’accord du Crédit Lyonnais :
« L'utilisation de la messagerie
interne et de l'intranet par les organisations syndicales et le secrétaire
général du comité central d'entreprise (ci-après le CCE) a été instituée au
Crédit Lyonnais, à titre expérimental, par les chartes du 6 novembre 2000
(organisations syndicales) et du 15 janvier 2001 (secrétaire général du CCE).
Depuis lors, le bilan de cette expérimentation s'étant avéré positif pour
l'ensemble des parties, les deux chartes ont fait l'objet de deux prorogations,
à durée déterminée en avril 2001, puis à durée indéterminée en juin 2001. Le
présent accord (…) a pour objet, dans le cadre d'un texte conventionnel commun
à l'ensemble des instances concernées, d'une part d'améliorer les modes d'accès
au réseau et les équipements déjà mis en place, d'autre part d'étendre son
champ d'application aux comités d'établissement et aux coordinateurs syndicaux
régionaux. »
Cette formulation apaisée énumérant la succession des chartes et accords occulte ce qui, dans les entreprises a fait débat, a pu opposer directions et syndicats ou même différentes organisations syndicales entre-elles lors de la mise en place de la présence syndicale sur les Intranets d’entreprises.
Négociation des chartes :
une occasion de débats ou même de conflits
La mise en œuvre de chartes s’est
parfois révélée contraire au droit comme chez Renault. La CGT n’ayant pas voulu
signer l’accord, la direction a exclu ce syndicat de la possibilité d’utiliser
l’Intranet à des fins syndicales : « Toute
organisation syndicale représentative au niveau de l’entreprise (…) peut y adhérer ultérieurement dans les
conditions prévues aux articles L. 132-9 et 10 du code du travail. Cette adhésion
doit être sans réserve et concerner la totalité de la charte. L’adhésion
est une condition nécessaire pour bénéficier de la présente charte.[6] »
Le TGI de Nanterre a condamné cette entreprise le 31 mai 2002, au motif qu’en droit français, tout accord conventionnel s’applique à tous. Avant même la signature d’une charte, la société Bull avait été condamnée pour un motif proche, le seul syndicat de cadres CGC ayant pu monter un site sur l’Intranet, ce qui créait une discrimination entre syndicats.
Les organisations syndicales ont parfois fait montre de leurs divisions lors des négociations. Première raison de discorde, elles ne sont toujours dans une situation analogue vis-à-vis des technologies. Une responsable CFDT explique qu’elle avait hâte, « au nom de l’équité », que des règles soient établies. Elle regrettait qu’un syndicat qui ne représentait qu’une faible partie des salariés (la CGC) mais qui avait une bonne maîtrise des technologies, communiquait beaucoup mieux par messagerie avec des personnes clef dans l’entreprise, ce que la CFDT, pourtant plus représentative, n’avait pas les moyens de faire.
Certaines sections syndicales CGT ont refusé de signer les chartes car elles ne voulaient pas admettre les restrictions imposées par les directions, notamment celles concernant la limitation des moyens des sites Intranet syndicaux. Mais on a vu que les syndicats non signataires peuvent néanmoins utiliser les moyens négociés par les signataires.
La
métaphore du panneau syndicat : l’interactivité en question
On a tout d’abord voulu croire, du côté des directions, qu’il ne s’agissait que de transposer sur réseau d’entreprise, le traditionnel panneau d’affichage syndical dont l’usage est réglementé par le droit. Ainsi le club de réflexion « Entreprises et Progrès », qui rassemble des dirigeants d’entreprises, donnait-il en 2001 les consignes suivantes :
: « Soyons humbles et très pragmatiques en commençant par un projet concret et bien délimité : Entreprise et Progrès propose comme premier « exercice », le panneau syndical électronique »
Mais l’Intranet permet bien d’autres choses que cet affichage sur support papier : les hyperliens, l’interactivité, les chats, le spamming. Les premières chartes se sont attachées à limiter l’exercice de cette interactivité. Celle de France Télécom signée en l’an 2000 interdit notamment :
- le téléchargement de vidéos, d’images animées, de bande son
- l’interactivité
- le streaming (visualisation de vidéo par le biais du réseau au fur et à mesure du chargement)
- la diffusion de tracts par messagerie
- le spam (diffusion d’un document en grand nombre
- les forums et le « chat »
- les « applets » java, moteurs de recherches ou cookies (programmes informatiques associés au message)
Mais est-il possible de refuser l’interactivité à un site Intranet ? Un conflit intervenu dans la société Technip montre les limites de cette interdiction. La direction reprochant à la CGT d’avoir installé sur ses pages des liens hypertextuels vers des sites extérieurs a décidé de couper ces liens. La directrice des ressources humaines justifiait ainsi sa décision :
« L’accord que nous avons signé en juillet a été mal interprété. Nous avons donné une place sur notre réseau aux organisations syndicales. Mais ce n’est ni plus ni moins qu’un panneau d’affichage comme il en existe dans les couloirs. »[7] La CGT a riposté en attaquant la direction sur le plan du droit du travail, tout en restant sur la notion de panneau syndical. Le code du travail en effet, interdit aux employeurs d’intervenir eux-mêmes pour retirer un affichage syndical qui ne leur plaît pas.
L'utilisation des TIC vient- se surajouter aux moyens traditionnels d'activité syndicale plutôt que les remplacer. Les directions d’entreprises qui ont cru pouvoir supprimer les panneaux d’affichage traditionnels lorsqu’ils ont ouvert aux syndicats une vitrine sur l’Intranet l’ont appris à leurs dépends : un moyen d’information ne remplace pas le précédent et toute suppression est vécue comme une atteinte au droit d’informer. En effet limiter l’affichage syndical au site Intranet serait une mesure discriminatoire à l’égard de ceux des salariés qui n’ont pas de facilité d’accès aux réseaux.
Des
droits et des pratiques en évolution
Les chartes et accords ont évolué au fur et à mesure que l’usage des Intranets s’étendait dans le sens d’une plus grande libéralisation.
- les tracts syndicaux, c'est-à-dire la possibilité d’envoyer un même message à tous les employés, qui étaient rigoureusement interdits dans les premières moutures se sont vus réglementés dans les accords ultérieurs. C’est ainsi que l’UNEDIC accepte que les syndicats puissent envoyer chacun 6 tracts par an aux salariés, et que chez TRANSPAC, ce nombre peut même atteindre 14 (1 tous les mois plus 2 exceptionnels.) La dernière charte du Crédit Lyonnais fait état d’un maximum de 10 messages par mois, et jamais plus d’un par jour.
- Les listes de diffusion syndicales ont été interdites dans les chartes, puis limitées aux adhérents ; enfin elles se sont étendues aux volontaires. Mais dans le cas de ces listes ou des tracts, les salariés doivent pouvoir refuser de recevoir ces messages syndicaux.
- Le contenu des sites syndicaux était limité en taille, l’utilisation des images ou des sons interdite. On voit ces interdictions se lever au fur et à mesure de l’augmentation des possibilités des réseaux de l’entreprise. Ainsi le Crédit Lyonnais qui limite à 200 Ko la taille maximum des messages et un espace de données d’1 Giga octet prévoit-il l’ajustement des ces volumes en fonction des capacités du réseau et des besoins des syndicats.
- Les forums de discussion ne sont pas autorisés dans les chartes que nous avons lues, mais il faut noter que les syndicalistes interrogés ne réclament pas cette possibilité dont ils craignent de ne pouvoir assumer la gestion quotidienne. Ils savent qu’ils peuvent par contre, tenir des forums sur les sites extérieurs à l’entreprise.
Restent les interdictions relevant du code du travail, comme celle d’un contenu non strictement syndical : « Les informations diffusées doivent être conformes à l’objet des organisations syndicales (défense des droits et des intérêts matériels et moraux des salariés). » L’interdiction des attaques personnelles, des injures etc., relève elle aussi de règles antérieures aux technologies.
ntic et activités
syndicales : un danger et une chance
Un danger
Les syndicalistes interrogés ont voulu exprimer fortement leur attachement pour les modes traditionnels d’information et de communication auprès des salariés. Bien qu’ils reconnaissent que l’usage des listes de diffusion entre adhérents ou entre syndicats d’une même fédération sont devenus des outils devenus indispensables, tiennent à affirmer qu’il n’est pas question d’un remplacement de la relation directe avec les salariés et les militants, qu’on ne supprimera jamais les réunions classiques au profit d’une communication sur réseau.
Les nouvelles technologies sont à la fois une chance et un danger pour les syndicats. Lors des interviews, les syndicalistes parlent d’abord des dangers. L’un d’eux explique : « On est tous convaincus que l’Internet et l’Intranet, on ne doit le vivre que comme un plus. Il est hors de question de considérer que parce qu’il y a Internet aujourd’hui, on ne crée pas de sections syndicales, il n’y a plus de diffusion papier, plus de brochures etc. ; Ca doit rester un plus [8]».
Le danger est bien réel pour ce militant CFDT qui a remarqué un début de dérive : « Comme on a la communication électronique, en région, on hésite à prendre sa voiture pour rencontrer les gens. Ca coûte plus cher et souvent, on a du mal à réunir les gens. La facilité, c’est le mèl. Mais il faut savoir que ça ne fait pas le même effet. Oui, je pense qu’il y a une diminution des rencontres de terrain, par exemple pour expliquer la position du syndicat, et ça, c’est le danger »[9].
L’usage prudent des médias électronique par les organisations syndicales témoigne d’une crainte de déshumanisation de la relation qu'on retrouve également dans la réserve qu'ont manifesté les syndicalistes vis à vis du télétravail. Le refus de la pratique du tract syndical envoyé dans les boites à lettres électroniques, identifiée comme « spamming » est aussi le signe d’une résistance délibérée à toute dérive technocratique. Il est vrai que les syndicalistes qui, au niveau fédéral, sont souvent parmi les premiers usagers des réseaux savent combien le harcèlement informationnel de type spamming peut être contre productif.
En pratique, un consensus semblait s’être établi entre directions et syndicalistes de certaines entreprises pour réserver les listes de diffusions aux seuls militants ou adhérents. Les relations avec l’ensemble des salariés se fait par des moyens traditionnels directs : distribution de tracts papier, convocations à des réunions d’information. Mais les dernières chartes témoignent d’une évolution et de l’acceptation d’un usage modéré du tract syndical.
Une chance
Les avantages qu’on reconnaît aux nouvelles technologies sont de deux types : une rationalisation du travail quotidien et une extension du champ médiatique relayant les événements importants.
L’apport en rapidité et en rationalité dans l’activité syndicale est n’est pas différent de celui qui est donné par les technologies dans l’entreprise en général. Un permanent de la CFDT explique par exemple, comment la procédure de fabrication de la revue interne à sa fédération a été allégée et les délais de sortie raccourcis :
« Avant pour faire un journal comme celui-là, un mensuel, était un long processus. On écrivait au style, on faisait taper par une secrétaire, on faisait maquetter, maintenant on fait tout de A à Z et on envoie à l’imprimeur. Ca se fait au fil de l’eau »
Un militant SUD PTT qui a connu l’avant NTIC ne voudrait pas revenir à ces temps héroïques :
« Il faut savoir qu’avant Internet, je passais le plus clair de mon temps à mettre sous enveloppe. C’était horriblement ennuyeux et long. Ensuite il y a eu les fax. Mais là aussi il y avait nombre de problèmes. Souvent l’envoi d’une télécopie était suivi par un coup de fil pour s’assurer que le texte était bien reçu. On avait heureusement un modèle de fax assez élaboré qui permettait d’envoyer un document en nombre à une liste de numéros déjà enregistrés. Mais les gens bougeaient, il y a des réorganisations incessantes. Il fallait tout le temps changer les numéros des listes. Puis on a eu une méthode intermédiaire avec les télécopies envoyées par mail. Mais il y avait toujours les gens qui téléphonaient pour dire : « Tu ne m’a pas envoyé tel document » et c’était difficile de prouver qu’on le lui avait bien envoyé. Maintenant on lui répond : « Si ! Ca a été envoyé le tant. Regarde dans ta messagerie »
Non seulement la communication est devenue plus rapide et facile, mais la boîte à lettre électronique conserve une preuve de l’envoi. La possibilité de joindre aux messages des documents volumineux est une fonctionnalité essentielle lors des négociations : chacun peut lire les dernières versions des textes en débat que l’on envoie à toutes les personnes concernées, d’une simple clic. Ainsi chacun part du même texte ce qui rend les malentendus ou les faux procès plus difficiles, ce qui doit avoir un effet d’accélération des processus.
Si la rationalisation des tâches syndicales quotidiennes due aux NTIC n’est pas négligeable, elles apportent une aide sans doute encore plus précieuse en période conflits ou de négociations difficiles. En effet, l’une des clefs de la réussite d’une action est l’importance de la mobilisation et la médiatisation du conflit. N’ayant pas accès à volonté aux grands médias que sont la grande presse, la radio et la télévision, les militants syndicaux on trouvé en Internet un puissant allié pour informer, mobiliser, organiser les luttes.
Un premier exemple nous est donné lors de la négociation des 35 heures dans un agence UNEDIC de Corse. Les salariés en butte à une direction particulièrement « coriace » refusant d’appliquer au niveau local l’accord national ont décidé de faire grève. Une responsable fédérale raconte :
Je leur ai dit qu’ils avaient le soutien de la fédération. Mais ils sont très isolés en Corse. Depuis de années ils disaient : "le soutien de la fédération c'est bien joli mais enfin si le soutien arrive quatre jour après la grève…" Alors j'ai envoyé un Email à tous les syndicats en expliquant que l'agence de Corse était en grève sur la mise en œuvre locale de l'accord national sur la RTT. C'était notre dossier à nous, CFDT, et tout le monde était bien remonté, et ils ont tous envoyé des messages de soutien. Et il a lâché l'affaire, le directeur. Les 32 institutions plus les établissements Unedic de l'informatique ont envoyé des messages de soutien à la CFDT qui ont été affichés, et quelque part, ça a produit son effet. Ils se sont sentis soutenus, quoi. Ça a fait un gros remue-ménage dans la même journée et c’est probablement pourquoi le directeur a lâché. Et ça n'aurait pas été possible sans Internet. »
Un autre cas a été salué comme l’illustration d’une solidarité « euro syndicale » naissante, lors de la mobilisation des salariés d’une multinationale dont l’une des entités se trouvait menacée de disparition. Il s’agissait d’une filiale allemande de France Télécom, Mobilcom, petite société de 5000 employés que la maison mère s’apprêtait à mettre en faillite. Les administrateurs salariés de France Télécom, devant la menace dont ils avaient été informés en priorité au CA, ont cherché à se mettre en rapport avec les syndicats allemands pour organiser une réponse commune et pour médiatiser l’affaire :
« Grâce à Internet, le matin même du CA, sont arrivés sur les
mails des différents élus du personnel du CA et sur les Emails des différentes
organisations syndicales, un appel tout à fait émouvant des syndicalistes
allemands leur demandant de s’opposer à la mise en faillite et aux
licenciements qui en résulteraient. Simultanément, ils ont informé la presse
allemande et française. Les organes de presse allemands et français ont été
arrosés à la vitesse de l’éclair, et cette affaire a pris une importance très
grande ; ça c’est retrouvé en première place des journaux. Avec
l’information que les syndicalistes français s’opposeraient à la mise en
faillite de Mobilcom, ça leur a donné la possibilité de mobiliser les
personnels dans des conditions qui n’auraient pas été réunies si ça n’était pas
devenu une affaire publique. Le CA se réunissait le soir et, à midi, il y avait
un rassemblement de 2000 personnes devant le siège de Mobilcom, ce qui ne
s’était jamais vu, puisqu’il y avait une présence syndicale très faible dans
cette entreprise. Il n’y avait jamais eu de luttes, de grèves etc. C’était une
boîte de la nouvelle économie comme on disait à l’époque.(…)
Avec les téléphones mobiles, il était possible de se tenir au courant
en temps réel, et les syndicalistes allemands qui avaient à répondre aux télés
allemandes avaient les informations en temps et en heure. L’affaire s’est
réglée en moins d’une semaine[10], il est totalement
évident que sans Internet, ça aurait été totalement impossible. »
Pour résumer ce qui précède concernant les usages des technologies, on peut dire que dans leurs relations avec les salariés, les syndicalistes continuent à privilégier la communication directe. Mais ils sont depuis longtemps passés aux réseaux électroniques lorsqu’il s’agit de transférer de l’information à l’intérieur de la structure syndicale, intra et extra fédérations. Lorsque les accords d’entreprises le permettent, les Intranets sont utilisés pour informer les salariés mais surtout comme moyen de communication et d’organisation entre militants ou adhérents. Lors de conflits importants, Internet se révèle un relais essentiel favorisant la mobilisation des personnels concernés et la médiatisation au-delà de l’entreprise.
Reste que, malgré sa puissance, la communication sur réseau ne contribue en rien à résoudre les principaux problèmes des syndicats en France : la faiblesse de la syndicalisation, notamment dans le secteur privé, la division syndicale et la faible place qu’ils occupent dans la vie des entreprises.
Références
- Berneguer-Guillon Joëlle, Bensoussan Alain, Expression syndicale et Intranet, conférence du 30 septembre 2002 Electronic Business group
- CFDT cadres, Internet, Intranet, droits des salariés et de leurs représentants, Brochure Interne
- EPSY, L’utilisation des nouvelles technologies de
l’information et de la communication par les organisations syndicales, dossier technique n° 39
- Forum des droits sur L’Internet, rapport du 17 septembre 2002
- Granjon Fabien, L’Internet militant, mouvement social et usage des réseaux télématiques, Editions Apogée, sept 2001
- Gros Marie-Noëlle, Technip coupe les liens des syndicats avec l’extérieur, Libération.fr, lundi 12 mars 2001
- Lee Eric, How the Internet is changing
unions, http://www.ericlee.me.uk
- Parmentier Caroline, Ricouart Martine, L’employeur doit-il ouvrir son Intranet aux organisations syndicales ? http://www.clic-droit.com/ 18 octobre 2001
- Piotet Françoise,
Le sens du possible et de l’impossible, les compétences du militant », Nouvelles formes du travail N° 404, 1° mai
2001
- Ray Jean-Emmanuel, Le droit du travail à l’épreuve des NTIC, Editions Liaisons sociales Paris 2001
Chartes et accords d’entreprises
- AFPA, Projet d’accord sur l’utilisation de l’Intranet et de la messagerie par les organisations syndicales représentatives au niveau national, 27 février 2003
- ATOS, Charte de la communication électronique, septembre 2002
- Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole, Charte d’utilisation des outils Intranet et Internet, décembre 2001
- Crédit Lyonnais, Accord relatif à l’utilisation par les instances représentatives du personnel et les organisations syndicales de la messagerie interne et de l’Intranet, accord signé le 9 juillet 2002 par le Crédit Lyonnais, la CFDT, le SNB, la CFTC, FO
- France Télécom, Accord « espaces syndicats » sur la mise en place d’un panneau d’affichage syndical sur l’Intranet de France Télécom, 30 juillet 2000
- Renault, Charte 2001 de bon usage des technologies de communication de la « Société Indusse », texte intégral et commentaire par la CFDT de la charte appliquée chez Renault en 2001
- Renault, Charte du 29 mai 2002 portant sur les conditions d’accès et d’utilisation de l’Intranet Renault par les institutions représentatives du personnel
- Technip Coflexip, Accord sur les conditions d’exercice du dialogue social
- UNEDIC, Accord relatif à la mise en œuvre de l’expression syndicale dans le cadre des nouvelles technologies, Texte ouvert à signature, 1° octobre 2003
Textes législatifs ou gouvernementaux
- Projet de recommandation pour la réalisation d’une charte ministérielle sur l’utilisation des technologies de l’information et de la communication par les organisations syndicales, 19 juin 2001
- Réponse ministérielle à la question écrite N° 12090 de M Chossy (Journal Officiel du 1° février 1999) concernant le droit des syndicats à publier des tracts sur l’Intranet
* Membre du CREIS, fanny.carmagnat@wanadoo.fr
[1] http://www.ericlee.me.uk
[2] Selon l’étude 2002 du Service des Etudes et des Statistiques Industrielles pour le ministère de l’Industrie, 95,6% des 22 000 entreprises industrielles de 20 salariés et plus avaient en 2002 un accès à Internet et plus d’un tiers des entreprises disposaient d’un Intranet, les entreprises de plus de 500 salariés étant plus de 90% à en être dotées.
[3] http :// www.foruminternet.org
[4] Projet de recommandation pour la réalisation d’une charte ministérielle sur l’utilisation des technologies de l’information et de la communication par les organisations syndicales, commission de modernisation du ministère de la fonction publique et de la réforme de l’Etat, 19 juin 2001
[5] Une étude de la Startem réalisée pour le magazine « Liaisons sociales » en 2002 montrer qu’il y a moins de sites Internet syndicaux par entreprise dans le secteur privé, et que les sites du public sont mieux faits et plus actifs que les sites du privé.
[6] C’est nous qui soulignons
[7] Marie-Joëlle Gros, « Technip coupe les liens des syndicats avec l’extérieur », Libération, 12 mars 2001
[8] Interview à la fédération SUD/PTT
[9] Interview militant CFDT AFPA
[10] La direction a renoncé à une mise en faillite qui a été remplacée par une restructuration permettant de sauver la moitié des emplois. Cette entreprise a d’ailleurs retrouvé son équilibre financier et s’est trouvée bénéficiaire en 2003.