Les usages du chat chez les jeunes des classes
populaires :
de la “ prise en main ” à la “ mise à
l’épreuve ”
Fabien Labarthe*
L’objet de cet article est de décrire la manière dont les jeunes des classes populaires abordent la pratique du chat, et la place que celui-ci occupe au sein du processus d’initiation à Internet. Nous voudrions montrer que le chat constitue pour ces jeunes une véritable entrée en matière dans l’univers sociotechnique de l’informatique en réseau. Au cours des itinéraires d’apprentissage, ici appréhendés dans le contexte particulier d’un Espace Culture Multimédia, le chat offre clandestinement des savoir-faire tacites qui favorisent le développement de compétences techniques. Cette phase d’ajustement, que nous qualifions ici de prise en main, ne saurait néanmoins être envisagée en dehors de la mise à l’épreuve qui la fait juger “ moralement ”. Les appréciations portées par les pairs et les animateurs multimédia en charge de l’accès public influent sur la façon dont ces jeunes conçoivent et utilisent les chats. Les moqueries et autres remarques désobligeantes, ainsi que les difficultés rencontrées par les jeunes pour entrer en relation sur le chat, les conduisent à désinvestir peu à peu cette pratique et à reconvertir leurs savoir-faire vers de nouveaux usages. Ainsi le chat apparaît-il chez les jeunes des classes populaires comme une pratique foncièrement transitoire.
Abstract :
This article aims at describing the way young
people coming from popular classes deal with the chat, and the role
played by chating in the web learning process. We would like to show how
the chat is the real way for these young people to enter the
sociotechnical environment of the net. Going through learning experiences, here
taken in the specific context of an ECM, chating offers on an unofficial
maner secretly keept nowhows, alloying eathier technical habilities development
of its users. This learning phase, that we qualifie here as “take in hand”
could not be taught without a moral testing phase. Estimations and remarkes
from equals or multimedia guardians dealing with public access to the internet
do have a strong impact on the way young people deal with chating.
Mockeries and other offending remarkes, as well as difficulties met by young
people to get in touch thrue chating can lead them, step by step, to
disinvest its use and convert that knowledge to new multimedia uses. In that
respect, chating appears for young people coming from popular classes as
deeply transitory.
“ L’esprit de sérieux fait que, depuis Marx, nous nous représentons le devenir historique ou scientifique comme une succession de problèmes que l’humanité se pose et résout, alors qu’à l’évidence, l’humanité agissante ou savante ne cesse d’oublier chaque problème pour penser à autre chose ; si bien que le réalisme serait moins de se dire : “ Comment tout cela finira-t-il ? ” que de se demander : “ Que vont-ils bien encore inventer, cette fois-ci ? ”
Paul Veyne, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, éd. Du Seuil, Paris, 1983, p. 49.
Un grand nombre des recherches pluridisciplinaires en sciences sociales portant sur les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC), et sur Internet en particulier, a pour préoccupation principale la question du lien social (socialité, sociabilité, socialisation). En mettant à distance, avec plus ou moins de succès, les agitations morales[1] qui ont accompagné les premières diffusions de l’Internet grand public, elles ont contribué à mettre en évidence les logiques d’appropriation des individus qui les utilisent. Ce prisme d’analyse a permis de faire apparaître la prégnance protéïforme de l’identité sociale dans la construction des usages. Ceci est particulièrement vrai des travaux qui se sont intéressés à “ l’art de bavarder sur Internet ” (Verville, Lafrance, 1999), à travers les différents supports de communication qu’il offre (courriers électroniques, forums de discussion, listes de diffusion, chats[2]). Considérant à juste titre que ces outils sont des auxiliaires technologiques qui agencent la mise en scène d’actes de discours écrits – et qui, de ce point de vue, miment la conversation orale (Hert, 1999), ils ont mobilisé pour étayer leurs interprétations les concepts tirés de l’interactionnisme symbolique et de l’ethnométhodologie. Il s’agit par là d’appréhender, à partir des rituels de présentation de soi et de figuration (Beaudouin, Velkovska, 1999), les formes de coopération et d’engagement (Granjon, 1999) qui se jouent à l’intérieur de ces espaces de communication techniquement contraignants.
Cet article propose d’investir
une autre piste de réflexion sur les usages du chat. Il s’agit d’opérer
un déplacement des observations du contenu de l’écran vers de jeunes chatteurs en
action. Notre hypothèse est que les dispositifs sociotechniques que les
jeunes abordent via le chat sont susceptibles de participer en
tant que tels au processus global d’appropriation d’Internet. Cette posture de
départ nous astreint à un double développement : concevoir dans un premier
temps l’outil informatique et les interfaces qu’offrent les chats à
partir du spectre plus diffus des compétences techniques qui en
autorisent la manipulation - ce que nous appellerons ici la
“ prise en main ” -, et envisager dans un second temps leurs régimes
de consommation différenciés par les “ mondes sociaux ”
(Becker, 1988) qui s’en emparent – que nous nommerons la “ mise à
l’épreuve ”. Les nouvelles approches cognitivistes et pragmatiques ont
rendu possible un tel traitement des choses en montrant que les Nouvelles
Technologies de l’Information et de la Communication constituent avant tout une
source d’information pour l’action, et non simplement pour la connaissance[3]
(Conein, 1997). Ces approches sont centrées sur la notion de
“ prise ”, dont la saisie favorise le processus de routinisation de
l’usage à partir des “ plis ” logés
dans la matière des objets (Bessy & Chateaureynaud, 1985). Pour autant, il faut veiller à ne pas réhabiliter
clandestinement les explications causalistes naïves – ou du moins
insuffisamment complexifiées - qualifiées de “ déterminismes
technologiques ”[4]. Cet
écueil peut être évité en emboîtant modestement les pas de Bruno Latour dans
son projet qui vise à rétablir la “ symétrie ” entre les moyens
techniques utilisés et les fins sociales visées (Bruno Latour, 1999) et ce,
dans l’esprit de tolérance envers la technique auquel engageait, avant lui,
Gilbert Simondon : “ La culture se conduit envers l’objet technique comme
l’homme envers l’étranger quand il se laisse emporter par la xénophobie
primitive. Le misonéisme orienté contre les machines n’est pas tant haine du
nouveau que refus de la réalité étrangère ” (Simondon, 1989, p. 1).
Le terrain sur lequel nous avons relevé l’essentiel de nos données empiriques au cours des trois dernières années (observations in situ et entretiens semi-directifs) est un Espace Culture Multimédia[5] (ECM) situé dans l’enceinte de la Friche la Belle de Mai, structure socioculturelle implantée à la lisière des quartiers nord de Marseille. Les publics qui fréquentent cet ECM sont, en majorité, des adolescents issus de l’immigration, peu dotés en capitaux économique et culturel et pour la plupart en situation familiale monoparentale. Nos enquêtés sont des garçons âgés de 12 à 18 ans qui vivent, ou ont vécu, dans le quartier de La Belle de Mai[6]. Ils sont au collège ou au lycée dans des filières techniques, et quelques-uns sont en rupture d’études.
L’objet de cet article est de décrire la manière dont ces jeunes abordent le chat, et la place que celui-ci occupe dans leur initiation à Internet. Nous voudrions montrer que l’usage du chat ne relève en rien d’une pratique stabilisée, mais bien au contraire ouvre la voie vers de nouvelles pratiques exploratoires. En replaçant le chat non pas simplement dans la série “ paradigmatique ” dans lequel son usage s’insère, mais aussi dans la série “ syntagmatique ” qui le relie au processus d’appropriation d’Internet, il devient possible de recomposer les itinéraires d’apprentissage des jeunes qui fréquentent l’ECM. L’observation longitudinale permet de mettre en évidence, à travers le prisme des pratiques permanentes mais différenciées du chat, un changement processuel dans les “ carrières ” (Becker, 1985) d’internaute de nos jeunes enquêtés. Notre idée est que le chat, loin d’être sans conséquence, constitue pour nos enquêtés une véritable entrée en matière (au sens propre comme au figuré) dans l’univers du vaste ensemble technologique que constitue un “ ordinateur-connecté-à-Internet ”.
1 – La “ prise en
main ” d’Internet
La notion de “ démocratisation ” est au centre des politiques d’accès public à Internet en France, depuis que le Programme d’Action Gouvernemental pour la Société de l’Information (PAGSI) a été lancé en août 1997 par le premier ministre Lionel Jospin lors de l’université d’été à Hourtin. Construite sur le modèle des politiques de promotion et de diffusion de la lecture, elle consiste à “ créer les conditions d’une société de l’information pour tous ”[7] et peut se traduire grossièrement par un double objectif : d’une part, favoriser le processus d’intégration sociale des NTIC au sein des pratiques ordinaires des individus et d’autre part orienter les usages vers l’accès au savoir et à la culture (Internet comme vecteur de connaissance autant que d’expression de soi[8]). Ainsi, à l’instar des bibliothèques qui tentent de rendre accessible le livre, ont été instaurés, à partir de 1998, de nombreux[9] Espaces Publics d’Accès à Internet (Arnaud & Perriault, 2002) dont la mission essentielle consiste à rendre disponible Internet au plus grand nombre. L’objectif poursuivi est de réduire la “ fracture numérique ”, en assurant le maillage géographique de ces dispositifs sur le territoire français et en proposant un accompagnement individuel ou collectif sous forme d’initiations ou d’ateliers prodigués par des animateurs multimédia[10]. Conformément à l’idéal de démocratisation, une attention particulière a été portée aux publics “ jeunes ”, habitant les quartiers défavorisés[11].
1.1 - Le chat dans les ECM : jeux et enjeux.
Les chats et les jeux sur ordinateur occupent une place importante dans les pratiques internautes des jeunes adolescents qui viennent à l’ECM de la Friche La Belle de Mai. Cependant les jeux sont moins directement disponibles sur Internet (et co-extensivement au sein de l’ECM) que les chats et nécessitent, avant même de pouvoir y jouer, l’acquisition de quelques manipulations, certes élémentaires mais néanmoins indispensables. Ainsi, même lorsque la première velléité en venant à l’ECM est de jouer sur un ordinateur, les contraintes en matière de compétences techniques rabattent cette ambition sur les chats.
Les chats sont généralement déjà connus de ceux qui s’inscrivent pour la première fois à l’ECM, même s’ils n’ont pas toujours eu l’occasion de les manipuler. Les médias et les conversations à l’école (où l’usage des chats est pourtant proscrit) ont vite fait de diffuser et de populariser cette utilisation spécifique d’Internet auprès des jeunes. De plus, les nouveaux inscrits à l’ECM sont orientés par les plus anciens directement sur les chats, de façon à les laisser se familiariser avec les ordinateurs et les applications d’Internet, mais aussi pour éviter d’être sans cesse interpellés pour résoudre leurs difficultés techniques. Pour la grande majorité de nos interviewés, Internet est donc dans un premier temps assimilé au chat, c’est-à-dire à un média de rencontre et de dialogue en direct, et envisagé comme une activité essentiellement ludique.
Les usages du chat par les jeunes qui fréquentent l’ECM sont bien mis en exergue par une étude thématique réalisée pour le compte du Ministère de la Culture et de la Communication. Les auteurs proposent une liste d’hypothèses générales articulées autour de l’idée centrale que “ Chez les adolescents, le dialogue est presque toujours une drague garçon-fille ” (Pouts-Lajus & Tiévant, 1999, p. 11). Ces observations, parce qu’elles confinent au domaine du “ sensible ” conduisent les auteurs à supposer que “ par le chat, les filles apprennent quelque chose, ce qui est sans doute moins vrai des garçons ” (ibid., p. 12 ). La raison avancée serait que les simulations de “ drague ” qui s’opèrent sur les chats seraient mieux mises à profit par les filles que par les garçons dans la tentative d’exploration de l’altérité sexuelle. Nos observations et nos entretiens ne permettent pas de vérifier ce point, l’ECM où nous avons mené notre enquête étant essentiellement fréquenté par des groupes de garçons adolescents. Cependant les données recueillies laissent apparaître, comme nous le développerons plus loin, que la drague, ou du moins la possibilité d’interagir virtuellement avec des filles, constitue une des premières motivations pour se rendre sur un chat, indiquant par là que la découverte des rapports sexués suscite un pareil engouement, au moins au début de la pratique.
Les animateurs multimédia perçoivent l’usage du chat comme envahissant, du fait de son adoption massive par les jeunes. Initialement perçu avec appréhension, le chat est dorénavant accepté au sein de l’ECM avec une sorte de fatalisme conforté par le renouvellement continu du flux des chatteurs. L’engouement pour ces applications semblant inéluctable, l’idée dominante est qu’il convient mieux d’en accompagner l’usage plutôt que de tenter vainement de le réfréner. Comme le jugent Pouts-Lajus et Tiévant (1999, p. 13), “ l’usage de ces outils n’est pas contradictoire avec les missions de l’ECM, à la condition que les animateurs et les responsables, non seulement prennent les mesures de surveillance et de contrôle qui éviteront les débordements, mais également soient capables d’inventer, autour de ces outils, des activités à finalités éducatives et culturelles ”. Ces deux exigences, si elles sont bien partagées par les animateurs, ne vont pas sans poser quelques problèmes au moment de leur mise en application. Confrontés aux effets de groupes constitués par de jeunes garçons particulièrement turbulents, les mesures de contrôle prescrites trop ostensiblement peuvent contribuer à mettre en péril le calme précaire de la salle multimédia. Le fonctionnement implicite de l’ECM consiste plutôt en des négociations permanentes, plus ou moins consenties, entre des animateurs, plus ou moins indulgents, et des adolescents, plus ou moins obstinés[12]. Dans cette configuration, le chat peut se révéler une solution de recours satisfaisante pour ramener le calme dans la salle sans que l’animateur ait à endosser le rôle ingrat de surveillant.
La tâche la plus ardue qui revient aux animateurs consiste en réalité à nouer des relations interpersonnelles avec chacun des jeunes qui fréquentent l’ECM. Les discussions informelles, les demandes de nouvelles, les interpellations ou les mises au point se déroulent toujours en dehors de la salle multimédia afin de préserver l’intimité des récits, et parfois même des confessions, concernant les différents aspects de la vie quotidienne des jeunes[13]. Sans l’instauration de ce lien privilégié, ils ont des difficultés à convaincre certains d’entre eux de participer aux divers ateliers[14] qu’ils organisent. Cette part centrale des activités des animateurs, parce qu’elle excède le cadre formel de leurs prérogatives, est rarement reconnue par l’institution qui les recrute (elle peut même parfois lui paraître suspecte en ce qu’elle est assimilée à de l’inactivité). Cette tendance à la négociation et les efforts de responsabilisation sont clairement observables dans l’évolution des consignes du règlement intérieur, qui insistaient dans ses premières versions sur l’interdiction de certaines pratiques internautes, puis par la suite davantage sur les codes de bonne conduite à observer vis-à-vis des individus présents dans la salle multimédia comme lors de dialogues sur les chats.
1.2 – Le chat comme support d’acquisition de compétences techniques
Les développements récents consacrés à l’usage des objets techniques (Akrich, Boullier, 1991) ont montré que l’acquisition de compétences dépendait davantage d’une familiarisation par tâtonnements et habituation que d’une transmission médiatisée des savoir-faire (mode d’emploi, formateur et ici animateur multimédia). Outre ses propriétés distrayante et récréative, la pratique persistante du chat peut contribuer à consolider ou à inciter, à la façon d’une “ rampe de lancement ”, les premiers usages balbutiant d’Internet. C’est ce que relèvent confusément les animateurs lorsqu’ils concèdent que le chat participe malgré tout d’une “ amorce ”, bien qu’ils le perçoivent comme une activité triviale, voire superflue. Il n’empêche, celle-ci offre une ressource pédagogique inopinée pour les animateurs. Ceci se concrétise par l’intégration formelle des chats en fin des programmes d’initiation à Internet - de façon à laisser les débutants se “ faire la main ” -, ou en fin d’atelier – de manière à récompenser les bonnes volontés qui participent aux animations.
A partir de là, il devient possible de réenvisager la pratique intensive du chat dans l’ECM à partir des “ plis ” que cet outil est potentiellement susceptible d’offrir aux jeunes. Pour désigner ces propriétés actionnables entre les objets et les individus, la psychologie de la perception a longtemps utilisé le concept d’ “ affordance ”. Pour Gibson, les affordances sont avant tout des relations “ naturelles ” et qui par là, n’ont pas vocation à être visibles. Ce point ne pouvant par définition être empiriquement vérifié[15], la notion de “ prise ” semble plus à même de proposer des perspectives méthodologiques opérantes. Ceci a déjà été souligné par Norman (1993) qui, confronté à la difficulté d’appréhender la notion dans toute sa complexité, opère une distinction entre “ affordance réelle ” et “ affordance perçue ”. Norman identifie alors deux types d’objets : les objets manipulables qui facilitent le mouvement et les objets informationnels, qu’il appelle “ artefacts cognitifs ”. Dans les deux cas, ces objets nécessitent une interface, qui contraint l’usage à travers la conscience diffuse de ce que l’on veut faire et de ce que l’on peut faire avec l’objet appréhendé. Nous pensons alors que le chat, parce qu’il est mobilisé dans les activités quotidiennes de nos jeunes enquêtés, constitue une interface de ce type. A la manière du cd-rom dans les bibliothèques (Pedler & Zerbib, 2001), le chat dans l’ECM peut être vu comme un support d’acquisition de compétences techniques qui tend vers nos usagers des passerelles susceptibles de diminuer l’appréhension face à la complexité de l’univers sociotechnique d’Internet.
La dimension ordinaire et routinière des chats ne doit donc pas conduire à l’effacement des aspérités par lesquelles cet outil se laisse saisir par les jeunes au cours de leurs apprentissages. Ces “ prises ”, à la manière d’un grimpeur face à un rocher, constituent des repères visuels et manuels qui facilitent la progression et l’autonomie. Les styles d’usage, qui attestent de l’ “ incorporation ” (Lelong, 2002) de schèmes intermédiaires de perception (savoir-faire tacites), sont utiles en retour pour conforter les intuitions de l’usager dans la découverte progressive des schèmes de fonctionnement d’Internet (habiletés techniques).
Les observations montrent que la plupart du temps les usages d’Internet dans l’ECM sont sans cesse marqués par le contrôle et les approbations du collectif. Ceci est renforcé par la disposition spatiale des ordinateurs à l’intérieur de la salle multimédia. Les postes sont placés le long des murs et non au centre de la pièce, de sorte que les écrans sont visibles par tous en vision panoramique. Les ordinateurs sont toujours occupés à deux ou à trois, tandis que la salle est sans cesse arpentée par les jeunes qui vont d’un ordinateur à l’autre. Les conversations qui y ont cours concernent essentiellement l’informatique et les activités qui sont en train de se dérouler. Toute nouvelle démarche suscite la curiosité et les interrogations des autres, de sorte que les jeunes sont incités à opérer des transmissions de savoir-faire davantage par monstration directe sur les écrans d’ordinateur que par des explications orales des procédures à suivre.
Les sciences de la cognition ont montré que les connaissances procédurales primaient sur les connaissances déclaratives dans la maîtrise des objets, de sorte que nos interviewés éprouvent toutes les peines du monde à restituer oralement dans le détail le processus d’apprentissage à Internet. Toutefois, les entretiens laissent apparaître la façon dont la manipulation des chats a contribué à les familiariser avec les périphériques informatiques (écran, clavier, souris) - qui président une utilisation cohérente d’un ordinateur – et à se doter d’une compétence dactylographique singulière. D’autre part, l’usage des chats exige un ensemble de compétences qui outrepassent de loin le simple contenu écrit par les participants. Il implique a minima la re-connaissance des zones fonctionnelles (telles que les icônes d’application de logiciel, les fenêtres de navigateur les fonctions de navigation qui lui sont propres, les barres et les cadres qui délimitent les pages web, les liens hypertextes, etc.) qui ordonnent la lecture des “ écrits d’écran ” (Jeanneret, 2000). La pratique intensive des chats au début de l’apprentissage d’Internet conduit ainsi à l’acquisition d’une culture textuelle et iconique subordonnée chez l’internaute néophyte à l’interprétation et à la compréhension des conventions manipulatoire et langagière, multiples et variables, qui autorisent le surf.
Cette phase d’ajustement, que nous pensons primordiale et que nous qualifions ici de prise en main, ne saurait néanmoins être envisagée en dehors de la mise à l’épreuve qui la fait juger “ moralement ”[16]. Les jugements portés par des tiers (reproches, dénigrement, défis, encouragements, moquerie, etc.) sont de nature à influencer les manières de faire des jeunes. Corrélativement, ce sont les validations ou les réprobations symboliques qu’en retire l’usager placé sous le regard de la critique qui inclinent insidieusement l’orientation de ses usages vers une progression plus conforme aux attendus des “ arènes des habiletés techniques ” (Dodier, 1993) dans laquelle il est plongé.
2 – Les “ mises à
l’épreuve ” du chat
Le “ souci de soi ” et la “ culture de quartier ” sont prégnants chez les jeunes adolescents qui fréquentent l’ECM. Il ne faut donc pas perdre de vue le fait que les compétences techniques acquises lors de la pratique du chat s’inscrivent dans le cours des activités plus large des modes de sociabilité adolescente. La “ drague ” et la “ vanne ” constituent ainsi des épreuves, au sens où elles sont testées par l’intermédiaire des chats. Il ne s’agit pas seulement de vérifier la valeur opérante de ces occupations sur les chats, mais aussi de confronter auprès d’une audience ses propres aptitudes individuelles à les rendre efficientes. De façon concomitante, le chat et l’ECM sont des “ arènes ” où les estimations des habiletés techniques offrent des indices pour évaluer ses propres potentialités. Ces épreuves procèdent donc d’un mode agonistique dont l’issue débouche fatalement sur l’appréciation d’un succès ou d’un échec.
Les chats relèvent, pour les jeunes de l’ECM, d’un usage essentiellement ludique qui n’échappe pas aux opérations d’auto-évaluation et aux commentaires des autres. C’est dans ces épreuves et ces jugements que les jeunes puisent des marques d’estime de soi qui vont infléchir leurs pratiques internautes, ici dans le sens d’une désaffection pour les chats.
2.1 – Le chat : arène de la “ drague ”
La drague est le premier motif invoqué par nos interviewés pour justifier l’usage des chats. Dans la période préadolescente, cette occupation ne peut être entreprise qu’en se préservant, autant que faire se peut dans un lieu public, du regard des autres usagers, et surtout de celui des pairs. La drague est en effet perçue à ce moment-là comme une activité à découvrir seul, au risque de devenir, en cas de découverte, la risée des membres du groupe.
Si les tentatives de drague sur les chats répondent bien au besoin d’explorer les identités sexuées (en commençant par la sienne[17]), elles sont aussi l’occasion pour nos enquêtés de confronter la valeur de leurs identités sociales et culturelles sur le marché des identités virtuelles. L’énonciation réflexive des préadolescents repose ici sur la mise à l’épreuve de ce que Ricoeur (1990) appelle des “ opérateurs d’individualisation ” (pseudonymes, description de soi, et indicateurs divers). Les pseudonymes qu’ils choisissent pour se faire admettre sur les chats font souvent allusion à leur capital de séduction (“ Charmeur ”, “ Séducteur ”, etc.) ou à leur appartenance marseillaise (“ ZizoudeMars ”, “ OM ”, etc.). Bien qu’Internet soit un média déterritorialisé, ce sont précisément les “ indices de contextualisation ” géographiques qui sont les plus fréquemment cités dans les présentations de soi, confirmant ainsi que la ville de Marseille, et plus encore son équipe de football, constituent une “ référence identifiante ” de valeur sûre (quand bien même elle conduit à des échauffourées virtuelles avec ceux qui ont choisi celle du PSG).
Au-delà, les actes de langage énoncés sur les chats trahissent tant sur le fond que sur la forme, le degré de compétence linguistique[18] de ces jeunes. Si le chat garantit bien leur anonymat, il ne leur permet pas de masquer les marqueurs stylistiques de leurs identités langagières. Déjà peu légitime sur le plan scolaire, le parler vernaculaire de ces jeunes marseillais est doublement mis en insécurité sur les chats où la souplesse communicative apparente du “ parler-écrit ”, dégagé de toute norme littéraire, n’en demeure pas moins conventionnel. Ainsi la manière dont sont utilisées les abréviations rituelles de salutation[19], les styles télégraphiques ou quasi-phonétiques, les phrasés syncopés, l’usage des onomatopées tirées de la culture BD et celui des “ smileys ”[20], constitue autant d’indices qui autorisent les participants d’un chat à faire des inférences sur l’identité vraisemblable des locuteurs en présence. La compétence linguistique d’un chatteur repose ainsi sur la “ performance ” par laquelle il affiche la maîtrise de son propos grâce à des figures de mot ou de pensée alternées subtilement entre ce que Bourdieu (1984) nomme l’“ hypercorrection ” et l’“ hypocorrection ”. La pertinence avec laquelle s’accomplit cette performance est décisive pour qu’une forme de coopération puisse avoir lieu sur un chat. Les jeunes de l’ECM n’échappent donc pas aux jugements portés sur les “ inférences conversationnelles ” et sur leurs capacités à jouer de la “ commutation de code ” (Joseph, 1988, p. 93) : la conséquence en est qu’ils sont parfois exclus des chats par les modérateurs, voient leur interlocuteur couper court à la conversation, se trouvent eux-mêmes à court d’inspiration, etc.
Même lorsque certaines de ces conventions sont acquises dans le temps, au cours des fréquentations assidues du chat, le travail de figuration consistant à interpeller des participant(e)s tout en maintenant les modes d’énonciation jugés efficaces pour y parvenir repose encore sur un hiatus entre “ attentes convenues ” et “ convenances attendues ” qui déborde de loin le cadre restrictif des chats. Certains des plus aguerris de nos interviewés font état d’une expérience généralement décevante lorsqu’une rencontre effective avec une jeune fille a bien lieu suite à un rendez-vous pris sur un chat. L’échec de cette expérience reposerait selon les jeunes sur la découverte de “ mensonges ” proférés par ces jeunes filles lors du dialogue en ligne[21]. Il s’inscrit plus certainement dans l’économie générale du rapport au genre féminin qu’ils entretiennent dans leurs modes de sociabilité. Les “ effets de réel ” de ces expériences peuvent conduire à une rectification progressive des modes d’énonciation employés (respect, humour, ironie, etc.). Mais l’expérience de la rencontre produit aussi une méfiance accrue envers les propos tenus par les interlocuteurs sur les chats. Ainsi, pour les interviewés les plus âgés (16/18 ans), la drague sur les chats est perçue comme une pratique juvénile et puérile. La déception face à l’échec de la drague, comme plus largement leurs difficultés à entrer en relation sur les chats, conduit les jeunes à désinvestir peu à peu cette pratique.
2.2 – L’ECM : arène de la “ vanne ”
Nous avons vu que dans la période préadolescente, l’usage des chats pouvait être mis à l’épreuve des modes d’énonciation de soi (cette phase pouvant conduire à l’arrêt de la pratique, ou du moins à adopter un principe de précaution basé sur la méfiance). Toutefois, les difficultés éprouvées pour définir les “ bons ” marqueurs stylistiques de son identité langagière ne se vivent pas uniquement dans un rapport individualisé au chat. Il faut aussi prendre en compte dans l’analyse la dimension collective qui façonne les appropriations et les rejets individuels de cet outil. Or la singularité des dispositifs tels que les ECM repose précisément sur leur dimension “ collective ”. L’encadrement des usages d’Internet selon les modalités que nous avons évoquées ci-avant (contrôle, surveillance, négociation) est de nature lui aussi à incliner ou à décliner les pratiques du chat. Mais ces mesures n’agissent pas directement sur les jeunes qui viennent à l’ECM. Elles sont en grande partie court-circuitées par les logiques et les valeurs communes qui les rassemblent (débrouillardise, sens de l’humour, de l’honneur et de l’amitié, valorisation de la virilité, etc.). Les effets de groupe observables dans l’ECM orientent notamment les usages du chat vers l’invention d’un jeu d’une toute autre nature que celui qui a été envisagé précédemment. Il consiste à se réunir dans l’ECM entres copains du quartier, à annexer le plus grand nombre d’ordinateurs, à se connecter sur un chat, à se concerter sur une “ cible ”[22] et à fondre à plusieurs sur elle afin de la couvrir d’insultes en tout genre.
Cet usage agressif du chat ne doit pas être envisagé simplement comme une prolongation de la longue liste des incivilités attribuées communément à ces jeunes. Il s’inscrit aussi dans le cadre des “ joutes oratoires ”, bien connues des sociolinguistes, par lesquelles les jeunes des classes populaires s’échangent sur le ton de la plaisanterie des “ insultes rituelles ” (Labov, 1978). Labov opère une distinction éclairante entre “ insulte ” et “ vanne ” en ce qu’elles instaurent toutes deux un rapport différent au réel, et dans ses effets, et dans ses conséquences. Alors que l’insulte consiste en une offense verbale visant à atteindre l’intégrité de celui à qui elle est adressée, la vanne consiste, quant à elle, sur un mode à première vue tout aussi virulent, à accroître la réputation de celui qui l’a énoncée auprès de ses pairs. Les moqueries acerbes sont très fréquentes dans les interactions verbales quotidiennes des jeunes qui viennent à l’ECM. Ces vannes sont aussi adressées, sur un mode ludique, comme des clins d’œil réparateurs ou des mises au défi symboliques aux autres usagers de l’ECM ainsi qu’aux animateurs (sans que l’enquêteur ne soit bien sûr oublié).
Sur les chats, si ces échanges demeurent virtuels, la véhémence des propos n’en demeure pas moins réelle. On pourrait même considérer, à l’aune des vannes quotidiennes qui ont cours dans l’ECM, que les vexations professées sur les chats s’apparentent à des insultes. De fait, les échanges verbaux sont particulièrement obscènes. Cette virulence est autorisée par la configuration même des chats : les interactants n’étant pas réellement en présence, aucune représaille physique n’est à craindre.
Dans cette configuration, les assauts verbaux portés simultanément par le groupe ne sont pas équitables et conduisent généralement la victime désignée à quitter le salon du chat pour un temps (même s’il est probable qu’elle y revienne dans la seconde qui suit sous un autre pseudonyme). Cette finalité semble constituer le premier but à atteindre car elle est ressentie par les jeunes de l’ECM comme une victoire saluée avec enthousiasme. Labov souligne bien que “ l’une des différences les plus importantes entre l’échange de vannes et les autres actes de parole est que, dans la plupart de cas, les vannes se voient aussitôt et sont ouvertement évaluées par le public ” (Labov, 1978, p. 255). L’exaltation bruyante que cette activité suscite chez les joueurs montre que, de la même manière, les offenses verbales manifestées sur les chats représentent des sortes de “ vannes référencées ” (Lepoutre, 1997, p. 146) qui sont indirectement, c’est-à-dire par l’intermédiaire de l’individu qui en subit le désagrément, portées à l’attention et aux jugements approbateurs des pairs présents dans l’ECM.
Fréquemment alertés par l’agitation suscitée par cette pratique ou par les plaintes des autres usagers du lieu, les animateurs se sont d’abord connectés à partir de leur propre ordinateur sur les mêmes chats que les jeunes afin de s’assurer de temps à autre de la bonne tenue des conversations dans les salons. Mais devant le déluge des infractions constatées, ils ont peu à peu été contraints de réévaluer leurs modalités d’intervention en convertissant leur politique de “ répression ” initiale en une politique de “ prévention ” basée sur l’ironie et la moquerie. Ces correctifs comiques visent à désamorcer en douceur l’estime que les jeunes accordent à cette pratique en tournant en ridicule ceux qui s’y adonnent. Dans le même esprit de caricature qui imprègne les joutes verbales, ils soulignent par des plaisanteries désobligeantes le caractère immature de cette utilisation des chats. Ces jugements sont intégrés par les jeunes et participent, au même titre que la déception, au renoncement et à l’abandon progressif de cette occupation.
Conclusion
Les modalités d’appropriation d’Internet, dont le chat constitue le point de départ, s’infléchissent au cours du temps et conduisent peu à peu les jeunes à explorer la plasticité technologique de l’informatique. Sans entrer dans les détails de ce qui suit l’amorce par le chat, on peut rapidement citer quelques-unes des pratiques qui émergent progressivement. On observe en particulier que le téléchargement se généralise. Les jeunes vont chercher sur Internet divers types de fichiers : logiciels gratuits ou “ crackés ”[23], jeux, musiques, films… Ils commencent également à utiliser le réseau en vue de réaliser des économies, en partant à la recherche de codes informatiques susceptibles de débloquer des puces de téléphones portables ou d’obtenir le décodage de chaînes de télévision payante. On assiste ainsi en particulier à des carrières naissantes de “ hacker ”.
Parallèlement, les jeunes de l’ECM s’équipent en matériel informatique en vue de stocker les données glanées au cours de leurs explorations. Il s’agit ensuite pour eux d’optimiser ce matériel, ce qui les conduit à rechercher à nouveau des informations sur le web, sous forme de notices explicatives et autres astuces concernant le fonctionnement et la maintenance des ordinateurs.
Le souci de soi et la vie de quartier des jeunes qui fréquentent l’ECM de la Friche interfèrent grandement avec les intentions poursuivies par les initiateurs des politiques publiques en matière d’accès à Internet. Si le premier objectif consistant à mettre à disposition Internet pour les plus démunis est relativement atteint au regard du taux de fréquentation des jeunes à l’ECM, le bilan du second objectif portant sur l’orientation des usages vers l’accès au savoir et à la culture est plus mitigé. Pour autant, il ne faudrait pas conclure hâtivement à un échec. Les sciences des techniques de l’information et de la communication ne cessent de démontrer que toute appropriation réussie d’un objet procède, d’une manière ou d’une autre, d’un détournement de son usage. Ceci est peut-être particulièrement saillant dans le cas de ces jeunes, pour qui l’objet Internet agit, de part le statut institutionnel de l’ECM, comme un révélateur du rapport qu’ils entretiennent aux normes dominantes de la culture.
Ainsi, même si l’ECM de la Friche la Belle de Mai bute sur la transmission d’une attitude culturelle (au sens institutionnel du terme) vis-à-vis des nouvelles technologies, il favorise l’adoption de ce que Gilbert Simondon nomme une “ attitude technologique ”[24]. C’est donc par l’intermédiaire de logiques souterraines que, paradoxalement, l’ECM renoue avec ses ambitions premières.
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* Fabien Labarthe est ATER dans le Département des Sciences de l’Information et de la Communication de l’Université d’Avignon. Il est doctorant au Laboratoire E.A. 3151 “ Culture & Communication ”.
[1] Celles-ci posent, de façon cyclique, un regard tantôt euphorique, tantôt alarmiste sur les conséquences que font peser ces technologies sur le devenir de la vie en société.
[2] Le chat (prononcé “ tchat ”) est un espace virtuel de rencontre. Il se distingue des autres outils de communication cités en ce qu’il permet une synchronisation quasi-simultanée et réciproque des échanges langagiers. Les individus sont identifiés sur les chats par un “ pseudo ” de leur choix et peuvent communiquer soit en participant à la conversation commune qui apparaît sur le canal central, soit en engageant une conversation privée dans un “ salon ” créé pour l’occasion. Tous les grands portails d’accès à Internet offrent des chats. Parmi ceux qui sont les plus utilisés par les jeunes de l’ECM, citons “ caramail.com ”, “ tchache.com ” ou encore “ skyrock.com ”.
[3] Ce renversement permet de prendre à contre-pied les discours utopistes concernant l’ “ accès au savoir ” qui ont accompagné la diffusion des NTIC dans le corps social et qui imprègnent encore aujourd’hui idéologiquement les politiques publiques en la matière.
[4] Notons toutefois que les auteurs qui stigmatisent avec emphase cette notion se gardent bien d’en expliciter le sens qu’ils lui attribuent et contribuent de cette manière à réintroduire dans le débat scientifique les principes idéologiques qu’ils se sont évertués à évacuer. De plus, les auteurs visés comme appartenant à ce courant en réfutent l’appartenance. C’est le cas par exemple de Marshall Mc Luhan qui représente dans la littérature de la sociologie des usages la figure de proue de cet adversaire conceptuel à abattre.
[5] Les ECM sont des lieux publics d’accès à Internet. Ils ont été créés en 1998 et sont soutenus par le Ministère de la Culture et de la Communication.
[6] Cette situation de voisinage a une incidence non négligeable sur les modalités de fréquentation du lieu et sur l’intensité des usages qu’ils font d’Internet. La proximité géographique entre les lieux d’habitation et l’ECM a en effet favorisé une plus grande liberté dans les allers et venues à la salle multimédia. Ces visites fréquentes ne sont pas précédées de la réservation d’un poste informatique, telle que le prévoit la gestion administrative de l’accès public, mais de l’instauration, sur le long terme - et non sans difficultés - d’un climat de familiarité avec le lieu et de confiance avec les animateurs multimédia.
[7] Pour plus de détails sur ce programme, voir le site officiel : http://www.internet.gouv.fr
[8] Tels sont les objectifs qui ont été assignés à la Mission Interministérielle à l’Accès Public à Internet (MAPI) créée le 04 décembre 2000. En novembre 2003 lui succède la Délégation aux usages de l’Internet (DUI), qui a deux objectifs supplémentaires : la formation et la recherche d’emploi.
[9] Selon l’annonce faite le 10 juillet 2000 par le Comité Interministériel pour la Société de l’Information (CISI), il était prévu pour 2003 l’ouverture de 7000 lieux publics permettant un accès à Internet alors que 4500 étaient recensés. A ce jour, la diversité des lieux susceptibles de répondre à cette fonction rend pour le moins difficile un chiffrage précis.
[10] Depuis son ouverture en 1998, l’ECM de la Friche a vu se succéder 7 animateurs différents. Aujourd’hui, une seule personne s’occupe du lieu. Il s’agit d’un jeune homme d’une trentaine d’années, habitant un quartier populaire du nord de Marseille. L’ECM étant généralement animé par deux personnes, un recrutement devrait prochainement avoir lieu.
[11] Voir en particulier le guide intitulé “ Internet dans les quartiers ”, édité par le ministre délégué à la ville dans le gouvernement Jospin, Claude Bartelone. http://www.ville.gouv.fr/pdf/editions/internet-quartiers.pdf
[12] C’est ce dont témoignent aussi les débats récurrents sur le chat présents sur les listes de diffusion des espaces publics, au sein desquels les animateurs donnent leurs avis, témoignent de leurs expériences ou proposent des solutions.
[13] Ces conversations tournent autour des situations familiales, des évènements scolaires, de la vie de quartier ou encore des ennuis éventuels avec la police.
[14] Les ateliers sont généralement organisés en collaboration avec des artistes en résidence à la Friche. Par exemple : atelier d’écriture, vidéo, graphisme, etc.
[15] Une expérimentation de terrain pourrait en attester si elle pouvait se baser sur une épistémologie d’enquête propre à satisfaire le cahier des charges contraignants, et des théories de l’action, et des théories de la perception. Une telle entreprise n’est pas de mise ici (même si, porté par un bel élan positiviste, ce projet reste en cours).
[16] Boltanski et Thévenot (1991) ont proposé de concevoir ce jugement moral à partir des épreuves d’ “ amour ” et de “ justice ”.
[17] C’est ce que met en avant D. Pasquier (2002), en prolongeant ses travaux sur les séries télévisées (1999) sur le terrain des chats adolescents afin d’interroger les modalités et les stratégies par lesquelles filles et garçons s’interpellent virtuellement.
[18] La compétence linguistique désigne la connaissance tacite de la structure de la langue qui permet à un locuteur de produire une série infinie de phrases.
[19] Par exemple ASV, pour la question “ Age, Sexe, Ville ? ”
[20] Ou “ émoticons ”. Il s’agit de petites figures graphiques construites à partir des lettres de ponctuation. Lues en format italien, elles indiquent l’état d’esprit du chatteur (par exemple : - ) pour J ).
[21] Cette thématique du “ mensonge ” est convoquée de manière récurrente par les jeunes qui chattent depuis un certain temps. Elle est opposée à leur désir d’ “ authenticité ” des rapports humains. Ces supposés mensonges relèvent en fait de la manipulation de son identité, telle que la pratique aussi ces jeunes en modifiant leurs âges, leurs qualités physiques, etc.
[22] La “ cible ” est en général un internaute qui a répondu aux propos volontairement provocateurs tenus par un des jeunes au sein d’un salon, c’est-à-dire de l’espace commun de discussion d’un chat.
[23] Ou “ rippés ”. Cette terminologie désigne les actes de piratage informatique qui consistent à déverrouiller les protections numériques des logiciels.
[24] “ On peut nommer attitude technologique celle qui fait qu’un homme ne se préoccupe pas seulement de l’usage d’un être technique, mais de la corrélation des êtres techniques les uns par rapport aux autres ” (1989, p. 145)