Les premiers pas du CREIS
HOFFSAES Colette
Je me sens bien incapable de parler de l'histoire du CREIS, comme on me
l'a demandé, parce que je l'ai vécue et même mes dix années de retraite ne me
donnent pas assez de recul. Je ne peux vous livrer que mon témoignage, ainsi
que des dates et des noms.
Pour moi, le CREIS est né il y a 25 ans, même s'il n'a été baptisé que
cinq ans plus tard. C'est un rejeton
d'un mouvement qui a abouti à la loi "Informatique et Libertés" du 6
janvier 1978. En 1974, la campagne pour l'élection présidentielles
avait pour thème de prédilection la défense des libertés.
Par ailleurs, il y avait une volonté affichée de développer les
nouvelles technologies. Sitôt élu, Giscard d'Estaing commanditait une série
d'opérations pour étudier et lancer le développement de l'informatique.
- le rapport Nora-Minc "L'informatisation de la société" en
1978
- le rapport Simon
"L'éducation et l'informatisation de la société" en 1980
- un grand colloque
"Informatique et Société" en 1980.
Il y avait donc à cette époque à la fois un intérêt marqué pour le
développement de ce qu'on n'appelait pas encore les NTIC et une inquiétude pour
les libertés face à ces technologies.
Tout naturellement, dans ce contexte, se développèrent une série de
mouvements manifestant les inquiétudes de plusieurs groupes :
- les hommes politiques craignaient que leur rôle s'effrite face aux
technocrates.
- les professionnels médico-sociaux commençaient à entrevoir les méfaits
possibles d'un fichage mal maîtrisé (cf les luttes
contre le fichier GAMIN).
- les syndicalistes et associations des droits de l'homme, toujours
vigilants contre toute possible velléité de contrôle, commençaient à se
mobiliser.
Pour ma part, je suis entrée dans ce mouvement alors que je préparais
une thèse sur les informaticiens avec Alain Touraine, dans un séminaire animé
par Dominique Wolton, auquel participait Philippe
Lemoine (il fut ensuite délégué à l'informatique dans le Ministère de
l'Industrie, puis commissaire du gouvernement auprès de la CNIL de 82 à 84, il
est encore commissaire à la CNIL, représentant les entreprises de vente par
correspondance).
A cette époque, il participait à la Commission pédagogique nationale des
IUT "Informatique". Il fit introduire dans le programme un module sur
"informatique et société", en se fondant sur une recommandation du
rapport Tricot "Informatique et Libertés", prélude à la loi
"Informatique et Libertés", qui préconisait que l'enseignement de
l'informatique soit moins exclusivement technique et un peu plus orienté vers
une réflexion sur les conséquences de l'informatique, afin de former des
professionnels lucides et prêts à appliquer la loi. Connaissant mon intérêt
pour ces questions, nous avons parlé ensemble du programme et des problèmes que
poserait sa mise en œuvre. Il m'encouragea à participer au colloque
"Informatique et Libertés" ( Fontevraud,
2 mars 1979 ) et m'informa qu'un collègue de l'IUT de Nantes devait s'y rendre.
Je trouvais donc André Vitalis à Fontevraud, nous y rencontrâmes aussi
Stefano Spaccapietra, Daniel Nauleau, Félix Paoletti
et Anne Brigoo, de l'Institut de Programmation.
Ensemble, nous organisâmes une rencontre pour le 4 avril 1979 (même sans
INTERNET, on peut être rapide !) à l'IUT de Paris. Nous étions 15, tous
avides de défricher un domaine encore quasiment vierge, pas ou très peu de
recherches, aucune expérience pédagogique pour transmettre à des étudiants nos
interrogations.
Pendant 5 ans, sans aucune organisation fixe, nous nous sommes retrouvés
régulièrement chaque année ; chaque rencontre nous paraissant beaucoup
trop courte pour raconter et écouter les multiples expériences, nous décidions
ensemble du lieu, de la date, de la personne responsable et du thème de la
prochaine rencontre ; et personne ne manqua jamais son engagement. Après
Paris, ce fut Nantes, 7 mois après, puis Toulouse, Lyon, Nancy, Compiègne.
C'est seulement en 1984 que, pour répondre à un appel d'offre, nous
avons fondé le CREIS, association "loi 1901".
Pour pouvoir répondre à un appel d'offre de recherche, nous ne pouvions
pas compter sur l'appui d'une université, puisque nous fonctionnions comme un
groupe de liaison, réparti dans toute la France, et aussi à l'étranger, et que
nous dépendions de structures très diverses, pas seulement
universitaires ; nous ne pouvions pas non plus nous référer à une
discipline universitaire, puisque dès la première rencontre en 1979, il était
apparu que nous représentions de nombreuses disciplines et nous avons décidé de
préserver cette variété comme une richesse dont il fallait tirer profit.
La seule structure possible était donc une association "loi
1901". Nous n'avons même pas pu trouver un siège universitaire, car les
associations "loi 1901" y avaient à l'époque mauvaise réputation. Mon
domicile fut donc longtemps le siège du CREIS. C'était vraiment de l'artisanat.
La création du CREIS eut lieu
en mars 1984, publication au JO du 8 avril 1984
L'objectif annoncé : conçu comme un centre
de coordination, "en vue de la réalisation et diffusion d'études ainsi que
la promotion d'actions de sensibilisation relatives aux interactions entre la
société et l'informatique, en particulier : -
coordination entre chercheurs
-
formation de formateurs
-
élaboration d'outils pédagogiques
-
interventions et conseils."
Membres fondateurs : - Suzanne ASSIÉ, IUT de Lyon, informatique
- Marie-France BARTHET, MIAGE de Toulouse, informatique
- Alain CROCHET, IUT d'Orsay, économie
- Colette HOFFSAES, IUT de Paris, sociologie
- Daniel NAULEAU, IP, Paris VII, informatique
- André VITALIS, IUT de Nantes, STI
Le nom choisi, "Informatique et Société" reprenait le terme
lancé par le grand colloque de 1980.
Au 1er CA du 30 nov 1984, il y
avait 35 adhérents.
• Les activités des premières
années
- d'abord, publication presque régulière d'un "bulletin de
liaison"
animée par André Vitalis puis Maurice
Liscouet
n° 0 : février 1985, n° 19 : décembre 1998, n° 20 : mars 2000, n° 21 :
mars 2002
- des rencontres régulières, qui s'espacent et deviennent des colloques.
- en 1985, une enquête sur l'enseignement et la recherche sur les thèmes
"technologies et société" dans les établissements universitaires,
notamment dans les IUT, puisque cet enseignement était au programme. Cette
recherche a donné au CREIS débutant quelques modestes moyens de subsistance.
- la rédaction collective de plusieurs ouvrages sur l'informatisation de
la société
2 chez Delagrave, 1 au Québec en
collaboration avec des amis québécois.
- organisation de formations d'enseignants "Informatique et
Société" etc
———————
Mon souvenir des bons moments d'amitié ne me permettra pas d'être
objective. Qu'importe, ce n'est pas ce qu'on attend de moi.
Les principales caractéristiques du CREIS sont pour moi :
- d'abord la conviction partagée par tous que les transformations
attendues valaient la peine qu'on réfléchisse aux conséquences prévisibles
avant de suivre aveuglément la voie de l'efficacité et de la rentabilité
maximales (la rationalité technico-scientifique selon Habermas). Ce thème très
minoritaire à l'époque prend actuellement de la vigueur.
- ensuite l'urgence des enseignants qui, entraînés par leur conviction à
prendre en charge cet enseignement, ne savaient comment s'y prendre. Nous
avions vraiment besoin les uns des autres.
- et puis l'enthousiasme (et la crainte) de participer à une aventure
qui pouvait transformer le monde et que nous essayions de décrypter au moment
même où elle se faisait.
Comme beaucoup de ceux qui avaient vécu 1968, nous imaginions que nous
pouvions, par notre travail, même très modestement, améliorer la vie. J'ai
toujours vécu le CREIS comme un engagement à mi-chemin du militantisme et du
travail universitaire. Je crois ne pas avoir été la seule.
Du côté militantisme, nous étions en relation avec le groupe Terminal et
bien d'autres associations.
Du côté universitaire, les membres du CREIS et surtout du CA, assuraient
personnellement les liaisons avec les diverses associations professionnelles
qui rejoignaient quelque part nos objectifs.
J'ai cependant un regret : ce militantisme non affiché a
(peut-être ?) favorisé une évolution des convictions profondes, mais il
nous a parfois dissuadés d'assumer un professionnalisme, comme on dit
maintenant, qui nous aurait donné un plus haut niveau de visibilité. Je me dis
parfois : "L'évolution actuelle montre que nous avions encore plus
raison que nous ne le croyions alors. Que n'avons-nous crié plus fort et plus
médiatiquement !"
L'actualité du colloque d'aujourd'hui montre en tout cas que le travail
est toujours à reprendre et je vous souhaite une vraie réussite.